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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2023-11-01 | [This text should be read in francais] |
Vendredi dernier, 27 octobre 2023, j’ai eu la chance de pouvoir assister en invitation à la dernière représentation de « Lohengrin », à l’Opéra Bastille. Cette invitation, inattendue pour un des grands opéras de Wagner qui, en général, mobilise un important public, était peut-être due aux annulations de dernière minute provoquées par l’impact d’une grève nationale pour la défense du statut d’intermittent du spectacle. En effet, nous avions été prévenus que cette représentation serait jouée en version « orchestre », sans aucun décor et avec une mise en scène minimale. A notre arrivée, la scène n’était pas totalement vide mais occupée par des rangées de chaises, comme pour la représentation d’une chorale ordinaire… Pourtant, cette représentation, de plus de 4 heures (en comptant les deux entractes), fut exceptionnelle. En fait, les metteurs en scène ont été obligés de se réinventer dans une version sobre mais très dense, qui reposait totalement sur l’interprétation théâtrale des chanteurs, tous également excellents acteurs. Après quelques minutes, le public avait rapidement oublié l’absence de décor, totalement absorbé par la tension de la mise en scène et le livret de Wagner (traduit en simultané sur des écrans) d’une puissante expressivité.
Tous les chanteurs étaient vêtus en noir, treillis militaires ou costumes sombres évoquant les tenues fascistes et les chemises noires des années 30. Ce choix de mise en scène peut se lire comme une dénonciation du militarisme germanique. En effet, le livret de Wagner, qui composa son opéra au milieu du 19ème siècle en le situant dans un moyen-âge non précisément daté, exalte avec emphase le pangermanisme, en implorant la venue d’un grand roi capable de repousser les menaces extérieures (ici, celle des Hongrois) et d’unifier l’empire sous son joug. Le livret est ainsi émaillé d’appels qui devaient sans aucun doute enflammer le public, à une époque où l’unité allemande n'était pas encore constituée et où les esprits étaient tourmentés par le souvenir des guerres impériales napoléoniennes et la montée des fièvres nationalistes, notamment en Prusse : * Pour la terre germanique, l'épée germanique ! * Que soit ainsi préservée la force de l'empire Le drame est découpé en trois actes d’une grande cohérence et d’une grande richesse. Comme je ne connaissais pas la conclusion, j’ai vivement apprécié et ressenti la tension et le suspense de la dramaturgie, qui progresse inexorablement vers une issue dramatique. Aussi, si jamais un lecteur de cette note avait l’intention de découvrir cet opéra lors d’une représentation, je lui conseille de ne pas en lire davantage pour ne pas gâcher son plaisir de spectateur ! Les trois actes composent trois mouvements centrés sur Lohengrin, qui apparaît à l’acte 1 puis quitte à jamais le monde des hommes à l’acte 3. Dans le premier acte, un roi germanique (nommé Henri l’Oiseleur) se rend dans la province du Brabant pour lever des troupes, mais découvre que la région est plongée dans la discorde. Friedrich de Telramund, un noble du Brabant, lui explique que le duc de Brabant est mort en lui confiant ses deux enfants, Elsa et Gottfried, mais qu’Elsa, qui lui était promise, a tué son frère, en l’égarant dans la forêt, et entretient une relation secrète avec un amant. Friedrich, qui s’est depuis marié avec Ortrud, de lignée princière, demande au roi Henri de le reconnaître comme duc de Brabant et de condamner Elsa. Le roi convoque Elsa pour qu’elle s’explique à son tour. Celle-ci, vêtue d’une robe blanche immaculée (mais elle porte également des chaussures militaires), alors que tous les autres personnages sont vêtus de noir, lui affirme son innocence et déclare que, tandis qu’elle se lamentait et en appelait à Dieu, un chevalier lui est apparu, venant à sa rencontre sur un char tiré par un cygne, à qui elle veut désormais se donner et offrir ses terres. Henri hésite et décide, pour faire jaillir la vérité, de convoquer un jugement de Dieu, à la vie à la mort, entre Friedrich et le champion désigné par Elsa. Celle-ci l’appelle, tout d’abord en vain, mais quand son appel devient supplique et prière, la foule voit surgir des eaux un chevalier resplendissant (qui apparaît sur scène vêtu d’un treillis militaire, d’une coupe légèrement différente des dignitaires germaniques), monté sur un chariot tiré par un cygne, qui déclare qu’il combattra pour défendre l’honneur et l’innocence d’Elsa, puis l’épousera, à la condition que celle-ci jure de ne jamais chercher à connaître son nom et son origine. Face à l’évidence de la nature angélique du chevalier, les nobles du Brabant demandent à Friedrich de renoncer au combat mais celui-ci décide d’accepter l’affrontement. Il est rapidement vaincu mais le chevalier lui laisse la vie sauve, en lui demandant de la vouer au repentir de ses mensonges… Le livret de Wagner souligne, mais en célébrant sa dimension sacrée, la violence arbitraire du jugement de Dieu, qui m’a fait songer à la pensée de Pascal (que je cite de mémoire, de manière sans doute inexacte dans les termes) sur la confusion de la justice et de la force : « Pour unifier la justice et la force, et faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste, on a soumis la justice à la force faute de pouvoir soumettre la force à la justice ». Le deuxième acte met en scène la vengeance de Friedrich et d’Ortrud, qui convoite le pouvoir et manipule son époux à sa guise. Alors qu’elle était déjà à l’origine de l’accusation contre Elsa (car elle avait déclaré à son époux avoir vu Elsa noyer son frère), elle parvient à le convaincre que la soi-disante divinité du champion d’Elsa n’est que magie, et qu’il a donc trompé toute la noblesse du Brabant. Ortrud, qui en appelle à la vengeance des anciens dieux païens Wotan et Freia, prend pour preuve l’interdiction faite à Elsa de chercher à connaître son nom car les sorciers savent que leur magie sera dissipée si leur nom est dévoilé ou si une parcelle de corps leur est ôtée. Après avoir incité Friedrich, qui se sent humilié et déshonoré, à un nouveau combat, Ortrud parvient, par des plaintes hypocrites, à abuser la bonté d’Elsa, qui décide de lui pardonner ses anciennes calomnies et de l’inviter à son mariage. Ortrud en profite pour chercher à instiller en Elsa le doute sur la nature de son futur mari et sur l'avenir d'une relation fondée sur une ignorance. Comment, sans savoir qui est son époux, peut-elle être sûre qu’il ne repartira pas un jour aussi soudainement qu’il est venu ? Le troisième acte est celui de la révélation. Alors que la cérémonie de mariage se rapproche, dans une atmosphère de liesse générale tant le peuple se réjouit d’être dirigé par un seigneur béni de Dieu, qui leur rendra la puissance et la gloire, Friedrich et le roi Henri tentent vainement d’interroger le chevalier sur sa noblesse. Celui-ci leur déclare qu’il ne répondra qu’à Elsa, qui se montre en secret de plus en plus tiraillée entre son abandon à un amour absolu et sa crainte d’être un jour abandonnée. Les insinuations d’Ortrud, nourries par une inextinguible soif de vengeance (la sienne personnelle mais aussi celle de l’ancien monde païen), et les lamentations d’Elsa, qui ne parvient pas à croire au bonheur absolu qui lui tend les mains, composent une sorte de mise en abîme de la foi religieuse, comme si l’opposition entre Ortrud et Elsa incarnait la bascule du paganisme vers le christianisme, et l’impossibilité de se confier totalement, sans chercher à comprendre, aux mystères de la foi chrétienne. Finalement, Elsa ne pourra s’empêcher d’exiger du chevalier, au nom de leur amour et de la confiance qu’ils se vouent, qu’il lui révèle son nom. Déçu par Elsa et aigri contre les hommes, il s’exécutera publiquement, proclamant à tous qu’il était Lohengrin, fils du chevalier Perceval et serviteur du Graal dont la splendeur est d’une telle puissance et d’une telle pureté que la communauté du Graal doit rester cacher aux hommes. Maintenant que son identité a été dévoilée, Lohengrin doit sans retard quitter le Brabant et s’en retourner vers le Graal. Tandis que le cygne réapparaît à l'horizon, Lohengrin s'éloigne en laissant Elsa en larmes et les hommes du Brabant catastrophés d’avoir failli à retenir parmi eux un chevalier aussi valeureux. Néanmoins, peut-être par souci de Wagner d’éviter au public une fin trop dramatique, Lohengrin exauce un désir d’Elsa en faisant revenir son frère, Gottfried, le légitime duc de Brabant qu’Ortrud et Friedrich avaient essayé d’éliminer, en le noyant puis en faisant porter l’accusation sur Elsa. Cet opéra de Wagner est sublime par sa composition, son écriture et sa tension. Le livret est très riche : une lecture superficielle peut susciter le sentiment d’une histoire un peu surannée, pleine de grands sentiments, qui peuvent nous sembler aujourd’hui fanatiques, sur la religion, sur l’amour, sur la patrie, etc. mais Wagner est suffisamment subtil pour installer un suspense, qui ne se dénoue d’ailleurs pas totalement, et distiller des interrogations sans réponse, dont certaines sont toujours actuelles, notamment quand Wagner met en cause les fondements du pouvoir et l'incapacité des hommes à discerner et accepter ce qui est juste. Ce que sous-entend l'attitude d'Elsa et du peuple, c'est que le malheur des hommes naît de leur inaptitude au bonheur. Mais il ne s'agit pas d'une réflexion philosophique : l'opéra progresse par rebondissements, en alternant scènes d'action et scènes intimistes. La musique, puissante et très expressive, soutenait les différents mouvements sur scène presque comme le ferait une musique de film, mais ici avec le plaisir décuplé de la performance orchestrale. On distinguait à peine les musiciens (tous installés dans la fosse, sauf quelques cuivres disséminés dans les couloirs d’accès à la salle de concert, et qui suscitaient le sentiment d’un soudain élargissement de la scène en immergeant les spectateurs au sein de l'action et de la musique, qui leur semblait venir de toute part) ; seul le chef d’orchestre émergeait à mi-taille, rythmant la partition et l’action scénique. La représentation aurait pu être gâchée par l’absence de décor due à la grève des techniciens mais, paradoxalement, cette mise en scène très épurée décuplait l’attention portée au jeu d’acteurs, à l’expression des visages et à la tension du chant. D’ailleurs, à la fin de la représentation, le plaisir des chanteurs, des choristes et des musiciens était perceptible d’avoir brillamment relevé le défi ! |
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