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Récit de trois rêves
prose [ ]
de Littérature Nouvelle Serie (no. 1/1922)

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by [Andre_Breton ]

2010-01-01  | [This text should be read in francais]    |  Submited by Yigru Zeltil



Sténographie par Mlle Olla


Je passe le soir dans une rue déserte qui, autant que je peux m'en rendre compte aujourd'hui, doit être une rue du quartier des Grands-Augustins, quand mon attention est arrêtée par un écriteau au-dessus de la porte d'une maison. Cet écriteau, c'est : " ABRI " ou " A LOUER ", en tout cas quelque chose qui n'a plus cours, Intrigué, j'entre et je m'enfonce dans un couloir extrêmement sombre.
Un personnage, qui fait dans la suite du rêve figure de génie, vient à ma rencontre et me guide à travers un escalier que nous descendons tous deux et qui est très long.
Ce personnage, je le reconnais.
C'est un homme qui s'est occupé de me trouver une situation.
Aux murs de l'escalier je remarque un certain nombre de reliefs bizarres, que je suis amené à examiner de près, mon guide ne m'adressant pas la parole.
Il s'agit de moulages en plâtre, plus exactement de moulages de moustaches considérablement grossies.
Je reconnais, entre autres, les moustaches de Baudelaire, de Germain Nouveau et de Barbey d'Aurevilly.
Le génie me quitte sur la dernière marche et je me trouve dans une sorte de vaste hall divisé en trois parties.
Dans la première salle, de beaucoup la plus petite, où pénètre seulement le jour d'un soupirail incompréhensible, un jeune homme est assis à une table et compose des poèmes. Tout autour de lui, sur la table et par terre, sont répandus à profusion des manuscrits extrêmement sales.
Ce jeune homme ne m'est pas inconnu, c'est monsieur Georges Gabory.
La pièce voisine, elle aussi plus que sommairement meublée, est un peu mieux éclairée, quoique d'une façon tout à fait insuffisante.
Dans la même attitude que le premier personnage, mais m'inspirant, par contre, une sympathie réelle, je reconnais monsieur Pierre Reverdy.
Ces deux personnages n'ont pas paru me voir, et c'est seulement après m'être arrêté tristement derrière eux que je pénètre dans la troisième pièce.
Celle-ci est de beaucoup la plus grande, et les objets s'y trouvent un peu mieux en valeur : il y a un fauteuil inoccupé devant la table. Je comprends qu'il m'est destiné et je prends place devant le papier immaculé.
Je comprends le rôle que je suis appelé à remplir et je me mets instantanément en devoir de composer des poèmes. Mais, en m'abandonnant à la spontanéité la plus grande, je n'arrive à écrire sur le premier feuillet que ces mots : La lumière...
Celui-ci aussitôt déchiré, sur le second feuillet : La lumière... et sur le troisième feuillet : La lumière...

II

J'étais assis dans le métropolitain en face d'une femme que je n'avais pas autrement remarquée, lorsqu'à l'arrêt du train elle se leva et dit en me regardant : " Vie végétative ". J'hésitai un instant, on était à la station Trocadéro, puis je me levai et me décidai à la suivre.
Au haut de l'escalier nous étions dans une immense prairie sur laquelle tombait un jour verdâtre, extrêmement dur, de fin d'après-midi.
La femme avançait dans la prairie sans se retourner et bientôt un personnage très inquiétant, d'allure athlétique et coiffé d'une casquette, vint à sa rencontre.
Cet homme se détachait d'une équipe de joueurs de foot-ball composée de trois personnages. Ils échangèrent quelques mots sans faire attention à moi, puis, la femme disparut, et je me trouvai dans la prairie occupé à regarder les joueurs qui avaient repris leur partie et à essayer d'attraper le ballon, mais... je n'y parvins qu'une fois.

III

Je me baignais avec un petit enfant au bord de la mer. Peu après je me trouvai sur la plage en compagnie d'un certain nombre de gens, dont les uns me sont connus et les autres inconnus, quand brusquement l'un des promeneurs fit remarquer, à une certaine distance, deux oiseaux qui volaient parallèlement, et qui pouvaient être des mouettes.
Quelqu'un eut aussitôt l'idée de tirer sur ces oiseaux (car nous portions tous des fusils) et l'on put croire que l'un d'eux avait été blessé.
Ils tombèrent en effet assez loin du rivage, et nous attendîmes quelque temps que la vague les apportât.
A mesure qu'ils avançaient, j'observai que ces animaux n'étaient nullement des oiseaux comme je l'avais cru tout d'abord, mais bien plutôt des sortes de vaches ou de chevaux.
L'animal qui n'était pas blessé soutenait l'autre avec beaucoup d'attendrissement. Quand ils furent à nos pieds, ce dernier expira.
La particularité la plus remarquable que présentait cet animal qui venait de mourir était la différenciation très curieuse de ses yeux.
L'un d'eux, en effet, était complétement terne et assez semblable à une coquille d'oursin, tandis que l'autre était merveilleusement coloré et brillant.
L'animal secourable avait depuis longtemps disparu. C'est alors que monsieur Lefébure qui, je ne sais pourquoi, se trouvait parmi nous, s'empara de l'oeil phosphorescent et le prit pour monocle.
A ce propos, une personne de l'assistance jugea bon de raconter l'histoire suivante :
Dernièrement, comme à son habitude, monsieur Paul Poiret dansait devant ses clientes, quand brusquement son monocle tomba par terre et se brisa.
Monsieur Paul Eluard, qui se trouvait là, cut l'amabilité de lui offrir le sien, mais celui-ci subit le même sort.

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