agonia
english

v3
 

Agonia.Net | Policy | Mission Contact | Participate
poezii poezii poezii poezii poezii
poezii
armana Poezii, Poezie deutsch Poezii, Poezie english Poezii, Poezie espanol Poezii, Poezie francais Poezii, Poezie italiano Poezii, Poezie japanese Poezii, Poezie portugues Poezii, Poezie romana Poezii, Poezie russkaia Poezii, Poezie

Article Communities Contest Essay Multimedia Personals Poetry Press Prose _QUOTE Screenplay Special

Poezii Românesti - Romanian Poetry

poezii


 
Texts by the same author


Translations of this text
0

 Members comments


print e-mail
Views: 5292 .



La peau de chagrin
prose [ ]

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
by [Honoré_de_Balzac ]

2010-05-06  | [This text should be read in francais]    |  Submited by Dolcu Emilia



IV

La conscience qu’il avait d’une mort prochaine rendit, pour un moment, au jeune homme toute l’assurance d’une duchesse qui a deux amants. Aussi, entra-t-il chez le marchand de curiosités d’un air dégagé, laissant voir sur ses lèvres un sourire fixe comme celui d’un ivrogne. N’était-il pas ivre de la vie ou peut-être de la mort ! Donc, l’inconnu retomba bientôt dans ses vertiges et continua d’apercevoir les choses sous d’étranges couleurs, et animées d’un léger mouvement dont le principe était était sans doute dans une irrégulière ciculation de son sang, tantôt bouiillonnant, tantôt fade comme de l’eau tiède…
Il demanda tout simplement à visiter les magasins, pour y chercher s’ils ne renfermeraient pas quelques singularités à sa convenance. Alors un jeune homme à figure fraîche et joufflue, à chevelure rousse, et coiffé d’une casquette de loutre, commit la garde de la boutique à une vieille paysanne, espèce de Caliban femelle, occupée à nettoyer un poêle dont les merveilles étaient dues au génie de Bernard de Palissy. Puis, il dit à l’étranger d’un air insouciant :
- Voyez, Monsieur, voyez !... Nous n’avons en bas que des choses fort ordinaires ; mais si vous voulez prendre la peine de monter au premier étage, je pourrai vous montrer de fort belles momies du Caire, plusieurs poteries incrustées, quelques ébènes sculptés, vraie renaissance, récemment arrivés et qui sont de toute beauté…
Ce babil de cicérone, ces phrases sottement mercantiles furent, dans l’horrible situation où se trouvait l’inconnu, comme les picotements dont les esprits étroits assassinent un homme de génie… Portant sa coix jusqu’au dernier pas, il parut écouter son conducteur, et lui répondit par gestes, ou par monosyllabes.
Alors, insensiblement, il sut conquérir le droit d’être silencieux et put se livrer, sans contrainte, à ses dernières méditations. Elles furent gigantesques, terribles ; car il était poète, et son âme rencontra, par hasard une immense pâture : il devait voir, par avance, les ossements de vingt mondes.
Au premier coup d’œil les magasins lui offrirent un tableau confus, dans lequel toutes les œuvres humaines se heurtaient. Des crocodiles, des singes, des boas empaillés souriaient à des vitraux d’église, semblaient vouloir mordre des bustes, courir après des laques, grimper sur des lustres…
Un vase de Sèvres où madame Jacquotot avait peint Napoléon, se trouvait auprès d’un sphinx dédié à Sésotris… Le commencement du monde et les événements d’hier se mariaient avec une grotesque bonhomie. Un tournebroche était posé sur un ostensoir, un sabre républicain, sur une hacquebute du moyen âge.
Madame Dubarry, peinte au pastel, par Latour, une étoile sur la tête, nue et dans un nuage, paraissait contempler avec concupiscence une chibouque indienne, en cherchant à deviner l’utilité des spirales qui serpentaient sur elle.
Les instruments de mort, poignards, pistolets curieux, armes à secret, étaient jetés pêle-mêle avec des instruments de vie, soupières en porcelaine, assiettes de saxe, tasses originales venues de Chine, drageois féodaux. Un vaisseau d’ivoire voguait à pleines voiles sur le dos d’une immobile tortue… Une machine pneumatique éborgnait l’empereur Auguste, qui ne s’en fâchait pas.
Plusieurs portraits d’échevins français, de bourguemestres hollandais, insensibles, comme pendant leur vie, s’élevaient au-dessus de ce cahos d’antiqués, en y lançant un regard pâle et froid.
Tous les pays de la terre semblaient avoir apporté là un débris de leurs sciences, un échantillon de leurs arts. C’était une espèce de fumier philosophique auquel rien ne manquait, ni le calumet du sauvage, ni la pantoufle vert et or du sérail, ni le yatagan du maure, ni l’idole des Tartares. Il y avait jusqu’à la blague à tabac du soldat, jusqu’au ciboire aux hosties du prêtre, jusqu’aux plumes du cacique. Ces monstrueux tableaux étaient encore assujettis à mille accidents de lumière, par la bizarrerie d’une multitude de reflets dus à la confusion des nuances, à la brusque opposition des jours et des ténèbres. L’oreille croyait entendre des cris ininterrompus ; l’esprit, saisir des drames inachevés ; l’œil, apercevoir des lueurs mal étouffées.
Enfin une poussière obstinée imprimait des expressions capricieuses à tous ces objets dont les angles multipliés et les sinuosités nombreuses produisaient les effets les plus pittoresques.
L’inconnu compara d’abord ces trois salles gorgées de civilisation, de cultes, de divinités, de chefs-d’œuvre, de royautés, de débauches, de raison et de folie, à un miroir plein de facettes dont chacune représentait un monde.
Après cette impression brumeuse, il voulut choisir ses jouissances ; mais à force de regarder, de penser, de rêver, il se mit sous la puissance d’une fièvre due peut-être à la faim qui rugissait dans ses entrailles.
La vue de tant d’existences, nationales ou individuelles, attestées par des gages humains qui leur survivaient, acheva d’engourdir les sens du jeune homme. Le désir qui l’avait poussé dans le magasin fut exaucé. Il sortit de la vie réelles, monta par degrés vers un monde idéal, il tomba dans une indéfinissable extase.
L’univers lui apparut par bribes et en traits de feu, comme l’avenir passa jadis flamboyant aux yeux de Saint-Jean, dans Pathmos.
Une multitude de figures endolories, gracieuses, terribles, lucides, lointaines, rapprochées, se leva par masses, par myriades, par générations…
L’Ėgypte raide, mystérieuse, se dressa de ses sables, représentée par une momie qu’enveloppaient des bandelettes noires. Les Pharaons, ensevelissant les génerations pour construire une tombe… Moïse, les Hébreux, le désert… Il entrevit tout un monde antique et solennel.
Fraîche et suave, une statue de marbre, assise sur une colonne torse et rayonnant de blancheur, lui parla des mythes voluptueux de la Grèce et de l’Ionie…
Ah ! qui n’aurait souri, comme lui, de voir sur un fond brun la jeune fille rouge dansant dans la fine argile d’un vase étrusque devant le dieu Priape et le saluant d’un air joyeux… Puis en regard, une reine latine caressant sa Chimère avec amour… les caprices de la Rome impériale respiraient là, tout entiers, et révélaient le bain, la couche, la toilette d’une Julie indolente, songeuse, attendant son Tibulle.
Puis, armé du pouvoir des talismans arabes, la tête de Cicéron évoquait les souvenirs de la Rome libre et déroulait les pages de Tite-Live : le jeune homme contemplait Senatus Populus Que Romanus… Alors, le consul, ses licteurs, les toges bordées de pourpre, les luttes du Forum, le peuple courroucé défilaient lentement devant lui comme les vaporeuses figures d’un rêve…
Enfin, la Rome chrétienne dominait ces images. Une peinture ouvrait les cieux. Il voyait la vierge Marie plongée dans un nuage d’or, au sein des anges, éclipasant la gloire du soleil, écoutant les plaintes des malheureux, et cette suprême consolatrice lui souriait d’un air doux.
Mais, en touchant une mosaïque faite avec les différentes laves du Vésuve et de l’Etna, son âme s’élançait dans la chaude et fauve Italie ! Il assistait aux orgies de Borgia, courait dans les Abbruzzes, aspirait aux amours italiennes, se passionnait pour les blancs visages aux longs yeux noirs…
Il frémissait des dénouements nocturnes interrompus par la froide épée d’un mari, en apercevant une dague du moyen âge dont la poignée était travaillée comme une dentelle, et dont la rouille ressemblait à des taches de sang…
L’Inde et ses religions revivaient dans un magot chinois coiffé de son chapeau pointu à losanges relevés, paré de clochettes et vêtu d’or et de soie… Tout auprès, une natte, jolie comme la bayadère qui s’y était roulée, exhalait encore le santal… Un monstre du Japon, dont les yeux restaient tordus, la bouche contournée, les membres torturés, réveillait l’âme par les inventions d’un peuple qui, fatigué du beau, toujours unitaire, trouve d’ineffables plaisirs dans la fécondité des laideurs…
Une salière sortie des ateliers de Benvenuto Cellini le reportait au sein de la cour de France, au temps où les arts et la licence fleurirent, où les souverains se divertissaient à des supplices, où les conciles ordonnaient la chasteté, couchés dans les bras des courtisanes…
Il vit les conquêtes d’Alexandre sur un camée ; les massacres de Pizarre dans une arquebuse à mèche ; les guerres de religion échevelées, cruelles, bouillantes, au fond d’un casque ; les riantes images de la chevalerie sourdirent d’une armure de Milan supérieurement damasquinée, bien fourbie, et sous la visière de laquelle brillaient encore les yeux d’un paladin…
Cet océan de meubles, d’inventions, de modes, d’œuvres, de ruines, lui composait un poème sans fin. Formes, couleurs, pensées, tout revivait là ; mais rien de complet ne s’offrait à l’âme. Le poète devait achever les croquis du grand peintre qui avait fait cette immense palette, où les innombrables accidents de la vie humaine étaient jetés à profusion, avec dédain.
Après s’être emparé du monde, après avoir contemplé des pays, des âges, des règnes, le jeune homme revint à des existences individuelles ; il se repersonnifia, s’emparant des détails et repoussant la vie des nations comme trop puissante pour un seul homme…
Là dormait un enfant en cire provenant du cabinet de Ruysch, et cette ravissante créature lui peignait les joies délicieuses de sa jeunesse.
Au prestigieux aspect du pagne virginal de quelque jeune fille d’Otaïti, sa brûlante imagination lui peignait la vie simple de la nature, la chaste nudité de la vraie pudeur, les délices de la paresse si naturelle à l’homme, toute une destinée calme au bord d’un ruisseau frais et rêveur, sous un bananier, qui, sans culture, dispensait une manne savoureuse.
Mais tout à coup il devenait corsaire, et revêtait la terrible poésie empreinte dans le rôle de Lara, vivement inspirée par les couleurs nacrées de mille coquillages, exalté par la vue de quelques madrépores qui sentaient le varech, les algues et les ouragans atlantiques.
Admirant plus loin les délicates miniatures, les arabesques d’azur et d’or, dont un missel, un manuscrit précieux était enrichis, il oubliait les tumultes de la mer ; et, mollement balancé par une pensée de paix, il épousait de nouveau l’étude et la science, souhaitant la grasse vie des moines, exempte de chagrins, exempte de plaisirs, se couchant au fond d’une cellule, d’où il contemplait les prairies, les bois, les vignobles de son monastère.
Devant quelques Teniers, endossant la casaque d’un soldat, la misère d’un ouvrier, ou le bonnet sale et enfumé des Flamands, il s’enivrait de bière, ou jouait aux cartes avec eux, souriant à une grosse paysanne fraîche, et d’un attrayant embonpoint…
Il grelottait, en voyant une tombée de neige de Mieris ; se battait, en regardant un combat de Salvator-Rosa ; puis, en caressant un tomhawk d’Illinois, il sentait le scalpel d’un Chérokée qui lui enlevait la peau du crâne… Enfin, émerveillé d’un rebec, jadis mélodieux sous la main d’une châtelaine, il en écoutait la romance et lui déclarait son amour, le soir, auprès d’une cheminée gothique, dans l’ombre, et recueillant d’elle un regard de consentement.
Il s’accrochait à toutes les joies, saisissait toutes les douleurs, s’emparait de toutes les formules d’existence ; éparpillant si généreusement sa vie et ses sentiments sur les simulcres de cette nature plastique et vide, que le bruit de ses pas retentissait dans son âme comme le son lointain d’un autre monde, comme la rumeur de Paris sur les tours de Notre-Dame.
En montant l’escalier intérieur qui conduisait aux salles situées au premier étage, il vit des boucliers votifs, des panoplies, des tabernacles sculptés, des figures en bois accrochées aux murs, posées sur chaque marche… Il était poursuivi par les formes les plus étranges, par des créations merveilleuses, assises sur les frontières de la mort et de la vie. Il marchait dans les enchantements d’un songe ; et, doutant de son existence, il était comme ces objets curieux, ni tout-à-fait mort, ni tout-à-fait vivant.
Quand il entra dans les nouveaux magasins, le jour commençait à pâlir ; mais la lumière semblait inutile aux richesses resplendissantes d’or et d’argent qui s’y trouvaient entassées.
Les plus coûteux caprices des dissipateurs morts sous des mansardes après avoir possédé plusieurs millions, étaient là !... C’était le bazar des folies humaines. Une écritoire payée jadis cent mille francs, et rachetée pour cent sous, gisait auprès d’une serrure à secret dont le prix de fabrication aurait suffi à la rançon d’un roi.
Là, le génie humain apparaissait dans toutes les pompes de sa misère, dans toute la gloire de ses petitesses gigantesques. Une table d’ébène, véritable idole d’artiste sculptée d’après les dessins de Jean Goujon, et qui coûta jadis plusieurs années de travail, avait été acquise au prix du bois à brûler… Des coffrets précieux, des meubles faits par la main des fées, y étaient dédaigneusement entassées.
- Il y a des millions ici !... s’écria le jeune homme en arrivant à la pièce qui terminait une immense enfilade d’appartements dorés et sculptés par des artistes du siècle dernier.
- Dites des milliards !...reprit le gros garçon joufflu ; car s’il fallait fabriquer ces choses-là, la somme de toutes les dettes publique de L’Europe n’y suffisait pas… Mais ce n’est rien encore !... Montez au troisième étage et vous verrez !...
L’inconnu, suivant son conducteur, parvint à une quatrième galerie, où successivement passèrent, devant ses yeux fatigués, plusieurs tableaux de Poussin ; une sublime statue de Michel-Ange ; quelques ravissants paysages de Claude Lorrain ; un Gérard-Dow, qui ressemblait à une page de Sterne ; et des Rembrandt, des Murillo, sombres et colorés comme un poème de lord Byron ; puis des bas-reliefs antiques, des coupes d’agathe, des onyx merveilleux ; enfin, c’étaient des travaux à dégoûter du travail ; des chefs-d’œuvre accumulés …à faire prendre en haine les arts et à tuer l’enthousiasme.
Il arriva devant une vierge de Raphaël ; mais il était lassé de Raphaël.
Une figure du Corrège qui voulait un regard, ne l’obtint même pas… Un vase inestimable, en porphyre antique, et dont les scuptures circulaires représentaient, de toutes les priapées romaines la plus grotesquement licencieuse, délices de quelque Corinne, eut à peine un sourire.
Il étouffait sous les débris de cinquante siècles évanouis ; il était malade de totutes ces pensées humaines ; assassiné par le luxe et les arts ; oppressé par ces formes renaissantes qui, pareilles à des monstres enfantés sous ses pieds par quelque malin génie, lui livraienet un combat sans fin.
Semblable, en ses caprices, à la chimie moderne qui résume la création par un sel, l’âme humaine, puissante Locuste, se compose de poisons terribles par la concentration de ses jouissances, de ses forces ou de ses idées. Et beaucoup d’hommes périssent ainsi, victime de quelque acide moral qu’ils se sont eux-mêmes distillé sur le cœur.
- Que contient cette boîte ?... demanda-t-il en arrivant à un grand cabinet, dernier monceau de gloire, d’efforts humains, d’originalités, de richesses. Et il montra du doigt une grande caisse carrée, construite en acajou, suspendue à un clou par une chaîne d’argent.
- Ah ! monsieur en a la clef… dit le gros garçon avec un air de mystère… Si vous désirez voir ce portrait, je me hasarderai volontiers à le prévenir…
- Vous hasarder !... reprit le jeune homme, votre maître est-il un prince ?...
- Mais…je ne sais pas… répondit le garçon.
Ils se regardèrent pendant un moment aussi étonnés l’un que l’autre.
Interprétant le silence de l’inconnu comme un souhait, son guide le laissa seul dans le cabinet…



.  | index








 
shim Home of Literature, Poetry and Culture. Write and enjoy articles, essays, prose, classic poetry and contests. shim
shim
poezii  Search  Agonia.Net  

Reproduction of any materials without our permission is strictly prohibited.
Copyright 1999-2003. Agonia.Net

E-mail | Privacy and publication policy

Top Site-uri Cultura - Join the Cultural Topsites!