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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2011-04-09 | [This text should be read in francais] | Submited by Dolcu Emilia
J’avais vingt ans et je souhaitais passer une journée entière, plongé dans les crimes de mon âge. C’était un libertinage d’esprit dont nous ne trouverions l’analogue ni dans les caprices de courtisane, ni dans les songes de jeune fille. Depuis un an, je me rêvais, bien mis, en voiture, ayant une belle femme à mes côtés, tranchant du seigneur, dînant chez Véry, allant le soir au spectacle, et décidé à ne revenir que le lendemain chez mon père ; mais armé contre lui, d’une aventure romanesque, plus intriguée que le Mariage de Figaro, dont il lui aurait impossible de se dépêtrer. J’avais estimé toute cette joie cinquante écus… N’étais-je pas encore sous le charme naïf de l’école buissonnière…
J’allai donc dans un boudoir ; et, là , seul, les yeux cuisants, les doigts tremblants, je comptai l’argent de mon père… il y avait cent écus dans la bourse. Tout à coup, les joies de mon escapade apparurent devant moi visibles, dansant comme les sorcières de Macbeth autour de leur chaudière ; mais alléchantes, frémissantes et délicieuses. Je devins un coquin déterminé. Sans écouter les tintements de mon oreille ou les battements précipités de mon cœur, je pris deux pièces de vingt francs que je vois encore !... Les millésimes en étaient effacés, et, toute usée, la figure de Bonaparte y grimaçait… Ayant mis la bourse dans ma poche, et les deux pièces d’or dans la paume humide de ma main droite, je revins vers une table de jeu, rôdant autour des joueurs comme un émouchet au dessus d’un poulailler. En proie à des angoisses inexprimables, je jetai soudain un regard translucide autour de moi ; puis, sûr de n’être aperçu par personne de connaissance, je pariai pour un petit homme gras et réjoui, sur la tête duquel j’accumulai plus de prières et de vœux qu’il ne s’en fait en mer pendant trois tempêtes. Mais, avec un instinct de scélératesse et de machiavélisme dont Sixte-Ouinte eût eté surpris, j’allai me planter près d’une porte, regardant à travers les salons sans y rien voir, car mon âme voltigeait autour du fatal tapis vert… De cette soirée date la première observation physiologique à laquelle j’ai dû, depuis, la pénétration qui m’a permis de saisir quelques mystères de notre double nature. En effet, je tournais le dos à la table où se disputait mon futur bonheur, bonheur d’autant plus profond peut-être qu’il était criminel !... Il y avait, entre les deux joueurs et moi, toute une haie d’hommes, épaisse de quatre ou cinq rangées de causeurs… Il s’élevait un bourdonnement de voix, qui empêchait même de distinguer les sons de l’orchestre… Eh bien, par un privilège accordé à toutes les passions et qui leur donne le pouvoir d’anéantir l’espace et le temps j’entendais distinctement les paroles des deux joueurs, je savais leurs points ; et celui des deux qui retournait le roi… A dix pas des cartes, le pâlissais de leurs caprices comme je les eusse vues. Mon père passa devant moi tout à coup ; je compris alors cette parole de l’Écriture : - L’esprit de Dieu passa devant sa face !... Mais j’avais gagné !… À travers le tourbillon d’hommes qui gravitait autour des joueurs, j’accourus à la tabble en me glissant avec la dextérité d’une anguille qui s’échappe par la maille rompue d’un filet. De douloureuses, toutes mes fibres devinrent joyeuses. J’étais comme un condamné qui, marchant au supplice, rencontre le roi… Le hasard fit qu’un homme décoré réclama quarante francs. Ils manquaient au jeu. Tous les regards tombèrent sur moi. Je pâlis, et des gouttes de sueur sillonnèrent mon front jeune. Alors, le crime d’avoir volé mon père me parut bien vengé ; mais le bon, gros, petit homme dit d’une voix certainement angélique : - Tous ces messieurs avaient mis !... Je suis responsable du jeu !.... Il paya les quarante francs. Alors je relevai mon front et jetai des regards triomphants sur les joueurs. Puis, je laissai mon gain à ce digne et honnête monsieur après avoir réintégré l’or dans la bourse de mon père. Aussitôt que je me vis possesseur de cent soixante francs, je les enveloppai dans mon mouchoir de manière à ce qu’ils ne pussent ni remuer ni sonner pendant notre retour au logis, et je ne jouai plus. - Que faisiez-vous au jeu ? … me dit mon père en rentrant dans le fiacre. - Je regardais… répondis-je en tremblant. - Mais, reprit mon père, il n’y aurait eu rien d’extraordinaire à ce que vous eussiez été forcé par amour propre à mettre quelque chose au jeu… Aux yeux des gens du monde, vous paraissez assez âgé pour avoir le droit de faire des sottises… Ainsi, je vous excuserais, Raphaël, si vous vous étiez servi de ma bourse… Je ne répondis rien Quand nous fûmes de retour, je rendis à mon père le passe-partout et l’argent. En rentrant dans sa chambre, il vida sa bourse sur sa cheminée et compta l’or ; puis se tournant vers moi d’un air assez grâcieux, il me dit en séparant chaque phrase par une pause plus ou moins longue et significative : - Mon fils, vous avez bientôt vingt ans. – je suis content de vous. – Il vous faut une pension, - quand ce ne serait que pour apprendre à économiser, - à connaître les choses de la vie. – Dès ce soir, je vous donnerai – cent francs – par mois. Vous disposerez de votre argent comme il vous plaira !... - Voici le premier trimestre de cette année… ajouta-t-il en caressant une pile d’or comme pour vérifier la somme. J’avoue que je fus prêt a me jeter à ses pieds, à lui déclarer que j’étais un brigand, un infâme, et … pis que cela, - un menteur !... mais la honte me retins. J’allais l’embrasser, il me repoussa faiblement. - Maintenant tu es un homme, mon enfant !... me dit-il. Ce que je fais est une chose toute simple et juste dont tu ne dois pas me remercier… - Si j’ai droit à votre reconnaissance, Raphaël, reprit-il d’un ton doux, mais plein de dignité, c’est pour avoir sauvé votre jeunesse des malheurs qui dévorent tous les jeunes gens à Paris. – Désormais nous serons comme deux amis. – Vous deviendrez dans un an, docteur en droit. – Vous avez, non sans quelques déplaisirs et certaines privations, acquis les connaissances solides et l’amour du travail si essentiel aux hommes appelés à manier les affaires… Apprends, Raphaël, à me connaître. - Je ne veux faire de toi, ni un avocat, ni un notaire ; mais un homme d’état qui puisse devenir la gloire de notre pauvre maison… - À demain !... ajouta-t-il en me renvoyant par un geste mystérieux. Dès ce jour, mon père m’initia franchement à ses projets. |
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