Moi Charles-Eugène Rancourt,
je suis seul dans ma petite chambre
au Foyer Saint-Georges,
à deux doigts du cimetière où dorment
mes parents et tant de mes connaissances.
J'habite aussi
à deux doigts de l'église où je me suis marié
avec la plus belle fille du canton,
ma belle Florence qui est toujours devant moi
dans ce cadre au mur.
Quel bonheur m'a-t-elle apporté !
J'aurais dû lui dire mil fois
mais ma foi !
la gêne et la timidité m'ont toujours été un frein.
Qu'importe maintenant,
je sais qu'elle m'a été la chose la plus précieuse
jamais donnée dans ma longue vie.

Moi Charles-Eugène Rancourt,
je suis seul dans ma petite chambre
et je regarde d'un oeil la télé
pleine d'idioties et d'insipidités,
oh d'un oeil bien distrait et d'une oreille sourde.
Que pourrait-elle m'apprendre de ce que je ne sais pas déjà !
Je lorgne le calendrier qui indique NOVEMBRE
en grosses lettres.
Suis-je à mon dernier mois d'existence ?
Je n'attends plus rien de cette vie trop longue.
À 90 ans, j'ai déjà vécu presque tout le XXe siècle,
j'entame le XXIe qui n'est guère plus reluisant.

Moi Charles-Eugène Rancourt,
je suis seul dans ma petite chambre
et je regarde au fond de la pièce
cette marchette qui ne sert plus guère.
Les préposés m'apportent repas, collations et journaux,
les infirmières s'occupent de mes handicaps,
mes enfants me visitent et me téléphonent souvent
mais je suis de plus en plus absent.
J'ai hâte de quitter cette vie plate et monotone.
Ma grande obsession est la suivante :
comment quitter cette vie sans trop souffrir ?
Puis comment faire pour mourir ?
Il ne faut pas se leurrer soi-même...
Qu'est-ce que la vie pourrait m'offrir
de plus que tout ce qu'elle m'a déjà donné ?
Rien, oh non rien...
Dites-moi alors
ce que je fais encore dans cette vie,
moi Charles-Eugène Rancourt,
seul dans ma petite chambre ?

(Mon père Charles-Eugène Rancourt est né le 17 juin 1912
et il est décédé le 24 décembre 2002 à l'âge de 90 ans et 6 mois)