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TUNERGA
prose [ ]

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by [Lebada_neagra ]

2021-09-03  | [This text should be read in francais]    | 



Tout a commencĂ© le soir de 31 mai 1997. J’étais Ă  peine arrivĂ© au bord de la mer. J’avais laissĂ© ma valise dans une maisonnette, situĂ©e sur une colline tout prĂšs de la plage et, en oubliant la fatigue, la chaleur, le rythme du train, je suis parti en sifflant vers la mer. La maisonnette aux murs blancs et sa petite palissade me guettaient du haut de la colline.
Je venais ici pour refaire, chaque annĂ©e, le film du naufrage de mon Moi au bord de la vie. Ici je voulais oublier la routine, un rythme sans cause, une rĂ©alitĂ© sans but. Ici je voulais me rappeler mon Moi muet, crachĂ© par l’absolu peut-ĂȘtre, dans un systĂšme pourri. J’avais créé un petit jeu: j`Ă©crivais en automne une lettre Ă  ma raison, soumise au temps chronologique. Je la mettais dans une bouteille que je lançais Ă  l’eau. En mai j’avais pris l’habitude de chercher la bouteille. Je ne la trouvais jamais, mais la chercher me faisait bien. C’était la lutte de mon Moi profond contre le Moi superficiel, toujours Ă  l’heure au travail, toujours au service d’une cause, le plus souvent, perdue Ă  l’avance. Je prĂ©parais, contre ma raison, l’évasion des sens, toujours en quĂȘte de l’infaillible.
J’ai commencĂ©, ainsi, ce soir de mai, encore une fois, l’aventure de dĂ©centration, d’introspection, la quĂȘte de l’introuvable
 la retrouvaille. Solitude au bord de la mer. CrĂ©puscule. BaptĂȘme Ă  l’envers : je suis entrĂ© dans la vie comme dans la mer: tout nu. J’aime le crĂ©puscule, la chute, le dĂ©part, le silence, l’obscuritĂ© et les portes de la nuit. Les non – dits de l’ĂȘtre se cachent lĂ ...
Ce soir – lĂ  un frisson nerveux maĂźtrisait mon corps et la raison vibrait de douleur. Une douleur constante, irritante, qui me volait le plaisir de vivre pleinement le rituel de la rencontre avec la Mer Noire. J’avais pris une bouteille de vin rouge Ă  la main et deux cigarettes, que j’avais mises dans la poche de la chemise. Pieds nus, je vivais, les yeux fermĂ©s, le plaisir d’enfoncer mes plantes fatiguĂ©es dans le sable encore chaud. Des fragments de coquilles griffaient la peau de mes chevilles et je boitais un peu aprĂšs ça, cherchant, quand mĂȘme, Ă  sentir cette douleur unique, puissante, Ă©trange
J`ai trouvĂ©, comme toujours, la grande pierre plate, ma pierre, couverte d’algues, froide, accueillante et humide. Je me suis allongĂ©e sur elle, le bras gauche sous la tĂȘte, un pied Ă  l’eau et l’autre pliĂ© sous mon corps.
Je pensais au ciel aveugle en oubliant tout sous la coupole bleue, mais la bouteille de vin m’est Ă©chappĂ©e de la main et son bruit m’a rĂ©veillĂ© de ma rĂȘverie. J’ai souri, j’ai quittĂ© la pierre et je me prĂ©parais Ă  allumer une cigarette quand j’ai vu un bout de feuille de papier Ă©crite, couvert par le sable. C’était comme un oeil jaunĂątre et craintif. J’ai senti une sorte de joie frĂ©nĂ©tique, le bonheur de celui qui ne cherche rien et qui trouve un petit trĂ©sor par hasard. J`avais hĂąte Ă  lire le petit mot, mis lĂ  par une main Ă©trangĂšre. Il y avait encore un peu de lumiĂšre, mais je devais me dĂ©pĂȘcher. La nuit prĂ©parait son entrĂ©e en scĂšne. J’ai Ă©teint la cigarette et je me suis assis sur la pierre froide. La mer Ă©cumait tranquillement, se dissipant espiĂšgle parmi mes orteils.
“ [...] Je peux te dire seulement que les nuages sont dans mon esprit. Je les mets lĂ  chaque fois que la lumiĂšre me fait peur 
et le dernier temps, la peur m` habite assez souvent...Et je me tais
J’ai peur de moi
 j’ai peur de l’obscurité  j’ai peur du silence qui m`entoure
 j’ai peur que tu ne trouves pas ce texte et que tu ne dĂ©chiffres pas mes inquiĂ©tudes...J’ai peur de mots.”
J’ai tressailli. En lisant ces mots, j’ai Ă©tĂ© envahi par quelque chose qui venait de loin, un je-ne-sais-quoi auquel j’avais toujours rĂȘvĂ©, un je-ne-sais-quoi que mon esprit connaissait depuis longtemps, qu’il avait reconnu et qui avait commencĂ© Ă  me ravager d’au-delĂ  de l’ĂȘtre...
Le ciel Ă©tait de plus en plus rouge. La nuit tombait tout doucement sur la terre. Une mouette a criĂ© juste au-dessus de ma tĂȘte. Si aigu ! J’ai sursautĂ© et le papier m’est Ă©chappĂ© de la main. Je l’ai repris difficilement et, pour une seconde, je me suis rendu compte que j’aimais la main qui a Ă©crit ces mots et l’oeil qui a regardĂ© les lettres que le sable, le vent et la pierre ont gardĂ©s lĂ , pour moi.
“Tu es parti comme les papillons : mystĂ©rieux, silencieux, fermĂ©...Pourquoi est-ce que je te dĂ©couvre toujours dans ton silence? Ne suis-je pas, moi-mĂȘme, faite des silences? 
Pourquoi ce fourmillement de la nuit de chair et de sang?...Le Rien me pĂšse
Le Rien m’appelle
 C’est comme une dent sans bouche qui apprend toute seule le mouvement, la rĂ©sistance, Ă  claquer, se heurtant contre une autre, trouvĂ©e par hasard
 OĂč chercher un troupeau de dents pour former la bouche ? Je meurs entre les claquements des Mois qui m`habitent jusqu’à ce que, dans le chaos du grand Rien, je vais dĂ©finir ma folie, mon mouvement, mon rythme, pour accomplir ma galaxie d’existences [...]”
Il faisait dĂ©jĂ  nuit. J’ai cherchĂ© mon briquet, j’ai fait un peu de lumiĂšre et j’ai continuĂ© Ă  lire. Soudain l’inquiĂ©tude s’est nichĂ©e en moi: Elle manquait, la main qui avait Ă©crit ce texte manquait aussi... et moi, je voulais apporter ses vĂ©cus en moi

« Quand on s’est rencontrĂ©s la premiĂšre fois tu m’avais parlĂ© avec tes silences. Le menton se reposant dans la paume de ta main, un air fatiguĂ©, tu Ă©tais un peu surpris et ...si seul ! Tes iris criaient en agonie. Pendu en toi, tu en avais peur. Tellement peur! « Dis –moi que tu aimerais rester une vie dans mes bras ! », j’ai dit, et tu t’es prĂ©cipitĂ© vers moi, tu m’as pris dans tes bras, tu m’as volĂ© aux amis qui m’accompagnaient et tu m’as portĂ© comme ça jusqu’au bord de la mer. Ici, sur cette pierre, prĂšs des vagues, tu as brisĂ© l’arc de ma vue avec tes yeux noirs, pleins de nuits et de rĂȘves...Et tu m’as fermĂ© en toi, dans le nid rond de ta vue...”Dis –moi que tu aimerais rester une vie dans mes bras”, m’as-tu dit...Et toute cette nuit –là
 toute cette nuit de mai, d’absences et de prĂ©sences , Ă©tait lĂ , sous la tente de tes yeux [...]”
Le texte finissait lĂ . J’ai criĂ© en sautant sur le sable: j’avais oubliĂ© le briquet dont la flamme a brĂ»lĂ© la chair de mon pouce. C’était tout. Je n’avais plus un mot. Rien de cette “voix” venue de nulle part. La douleur de l’ñme Ă©tait plus forte que celle de la chair. Je voulais rugir comme les lions, pleurer comme les veuves. C’était tout? J’avais fini le texte et la nuit Ă©tait morte au seuil de sa porte

Je me sentais perdu. J’ai libĂ©rĂ© ma colĂšre devant la mer, le ciel et la terre. Je voulais plus que ça. Je voulais toute l’histoire. J’ai continuĂ© ma rĂ©volte en fumant trois cigarettes sans pause. Puis, plus triste que jamais, j’ai pliĂ© la feuille de papier et je l’ai mise dans la poche de la chemise. La douleur que j’avais sentie au dĂ©but revenait Ă  chaque pas. Sur ma pierre verte, glissante, sentant les algues, seule et froide, quelqu’un en moi avait vĂ©cu une histoire que j`attendais depuis longtemps. Je suis tombĂ© Ă  genoux, contrariĂ©. Absent, je me suis dĂ©shabillĂ© et nu, je suis entrĂ© dans l’eau froide de la mer. BaptĂȘme. J’ai nagĂ© au large jusqu’à ce que la fatigue s`installe dans tous mes muscles, puis, dĂ©cidĂ© Ă  oublier la petite aventure qui risquait de me faire sortir pour toujours du processus social d’uniformisation des pensĂ©es du prolĂ©tariat, je me suis habillĂ© et je suis parti vers la maisonnette, devenue pour l`instant « chez moi ».
J’ai eu une nuit agitĂ©e. Je ne pouvais pas oublier la petite histoire Ă©trange. Le lever du soleil m’a trouvĂ© sur la plage, pensif, agitĂ©, malade de solitude
J’ai trouvĂ© ma pierre, toujours verte, toujours silencieuse et je m`y suis allongĂ©, le visage vers les cieux. Et soudain une pensĂ©e m’est venue Ă  l’esprit. Je me suis levĂ© et j`ai commencĂ© Ă  chercher dans le sable, sous la pierre, un signe qu`Elle a voulu laisser ses pensĂ©es Ă  quelqu`un qui les comprennes, quelqu`un qui les garde avec soin, quelqu`un choisi par le hasard
. Et, aprĂšs une dizaine de minutes, je l`ai trouvĂ© : une petite boĂźte en mĂ©tal, cachĂ©e lĂ , dans le sable. C’était une boĂźte de biscuits, carrĂ©. Un trĂ©sor mĂ©tallique.
J’ai fait des efforts pour l’ouvrir. À l’intĂ©rieur il y avait un agenda vert, mis dans un sac en plastique. J’ai sorti un cri vainqueur et, sans tarder, j’ai rompu le sac en plastique pour voir si c’était ce que j’y espĂ©rais trouver
Oui, c’était un agenda vert, peut-ĂȘtre son journal. « Tiens ! Elle voulait vraiment un tĂ©moin pour son histoire 
 Quelqu’un qui lise ses mots ! » J’ai ouvert l’agenda, tout doucement, et alors j`ai Ă©tĂ© surpris par la dĂ©couverte d`une nouvelle surprise: sur la premiĂšre page il y avait un message
pour moi :
31 mai 1997
Un petit mot pour toi.
Garde mon silence! Garde mon secret!
et sois maudit! 
et sois bĂ©ni! 
Sois maudit Ă  connaĂźtre ma douleur ! 
Sois bĂ©ni Ă  vivre ta vie en m`aimant au-delĂ  des cieux et du Temps
Tunerga. »
J’étais contrariĂ©. Ému. ÉtonnĂ©. Elle avait laissĂ© son agenda sous la pierre le jour mĂȘme oĂč je suis arrivĂ©. Sous ma pierre ! Étrange
 «Tunerga ? Le destin travaille dur, comme je vois ! ». J’ai pris la petite boĂźte et je suis parti, tranquille, prendre mon petit dĂ©jeuner. Je sentais un bonheur plus fort que moi, inexplicable, puissant, mais je voulais avoir patience encore un peu de temps
 Ma raison Ă©tait ankylosĂ©e, seulement le cƓur menait mes pas. Ma main gauche gardait le trĂ©sor. Geste inespĂ©ré «Tunerga ?»
ArrivĂ© chez moi j’ai allumĂ© une cigarette et, avec douceur, j’ai tournĂ© la premiĂšre page

Le premier mai, le soir

 Du croc du temps, brûlante magma. Silence aveugle
Tunerga !
Hier j’ai appris Ă  Ă©crire. Hier j’ai appris Ă  m’écrire. Hier j’ai Ă©crit mon nom sur l’écorce d’un noyer : Lazara ! 
. Et mon nom s’est levĂ© et a commencĂ© Ă  marcher

Le 2 mai

les tourterelles chantaient sous les auges 

Soir. Un soir d’automne aux feuilles gĂ©missant de larves, un soir oĂč l’air est devenu Ă©pais est lourd des ombres de la nuit. J’étais sur la terrasse, assise sur une vieille chaise en bois de chĂȘne. La cigarette pendait paresseuse au coin de ma bouche. Au-dessus, quelque part, des acariens croquaient rythmiquement une vieille poutre et, tout doucement, le labyrinthe grouillant des automnes de la raison ont alourdi mon ĂȘtre en me jetant dehors
J’avais commencĂ©, depuis quelque temps, Ă  rĂ©pondre Ă  la volontĂ© de la PensĂ©e, la premiĂšre, la plus large, celle dans laquelle tous mes eaux jouent, celle contre laquelle tous mes vents s’écrasent, celle oĂč toutes mes chimĂšres s’enchevĂȘtrent
Je sentais parfois comme des fils d’araignĂ©e m’attachaient Ă  cet Ă©tat pur, unique, inimaginable, et le jeu poussait de rien, liquide, en remplissant le vaisseau en os que j`Ă©tais.
On Ă©tait toujours deux : Moi et l` Autre Moi. On se regardait intensĂ©ment, Ă©trange
Maintenant j’étais loin, dans le cercle blanc d’oĂč seulement des pas Ă©chappĂ©s Ă  l’arc de la vue pouvaient approcher l`Autre Ă  mes plantes fatiguĂ©es
Une trouvaille qui m’épuisait physiquement, une trouvaille Ă  laquelle le corps essayait de renoncer, une trouvaille par laquelle ma raison continuait Ă  vivre.
Tout avait commencĂ© avec un rĂȘve Ă©trange, opaque, froid, carré J’ai eu peur de sentir l`Autre prĂšs de moi
 Je me suis noyĂ©e dans une pensĂ©e de rĂ©serve et le premier Moi, issu d’une eau plus profonde et plus froide, se sentait mĂ»r, plus sage et trop seul
La chute avait ouvert ses portes et la marche Ă©tait devenue un glissement vers le point. La vue avait dĂ©passĂ© encore une fois la limite de la cornĂ©e. J’étais Ă  la place de l’Autre. J’étais prĂ©sence
 Tunerga !
 Large, incroyablement large et d’un blanc immaculé Des sauterelles vertes dĂ©voraient mon sang cru. Le jeu Ă©tait ouvert : comme sur un immense Ă©chiquier les distances se fermaient dans des carreaux glacĂ©s. Seulement des ombres surprises en pleine chute coulaient d’un coin vers l’autre, folles et brĂ»lantes

Danse. Danse en dĂ©rive. Faute de pas, des sensations ramaient vers la rive des sabots. La criniĂšre raide fouettait mes Ă©paules. Je dansais le galop et le hennissement jusqu’à ce que dans un fouettement de vertĂšbres je me suis soulevĂ© en bondissant la tĂȘte, les yeux allumĂ©s. Tunerga !
 Combien de cercles dans un Ă©tonnement ? En sifflant j’avais attaquĂ© en pas de valse le coin du cavalier. DĂ©marche onduleuse, gracieuse, un peu neutre « T’es si loin. J’ai parfois la sensation que tout vole en toi : tu es comme un essaim de papillons
si loin
 seulement toi
 »
« J’ai peur. LĂ  t’es si seul. Il y a trop de silence 
Il y en a trop
Tout clignotement peut rĂ©veiller Tunerga
 »
La scission me rongeait. Je sentais la manifestation de la pensĂ©e et mĂȘme le seau mĂąchant des mots d’amour, en culbutant au cƓur de la fontaine de mon Ăąme
Mon Moi Ă©tait en chute libre « Suis-je entrĂ© dans le nuage blanc ? 
Celui qui nage juste au-dessus les vignobles ? »
Je glissais, la bouche ouverte, dans la masse de vapeurs et le corps lĂ©ger scintillait comme une boule de soleil. Je volais. Je volais avec les lĂšvres, je volais avec les narines ouvertes jusqu’au refus, je volais avec les dents dispersĂ©es sur les gencives rougeĂątres. J’avais rĂ©veillĂ© en moi les plumes. Toutes nues, elles accomplissaient leur marche en volant. Et le nuage claquait sous le frisson de la peur, car le nuage n’avait jamais vu des ailes marchant

« Fais de tes ailes sept colonnes d’air. Un vol ne s’accomplit jamais avec deux ailes. C`est un mythe ça! Tire ton vol ! Tire-le, puisque je te le dis ! Fais de tes ailes sept colonnes d’air
Je n’ai jamais vu
 Tunerga 
 »
Je donnais l`impression de dormir profondĂ©ment. Ma main maigre, presque sĂšche, se reposait entre les pages de l’agenda. L’une des feuilles gardait encore, dans un coin, quelques grains trĂšs fins de sable
 Je respirais Ă©gal. L’autre main a suivi avec douceur la ligne de mon menton et la courbe de mes paupiĂšres bleuĂątres
 « Toi
Lazara
 »
Le 3 mai, le soir
« Cette eau profonde sent le jument ! Il se noie en elle-mĂȘme comme un haras tuĂ© par la sĂ©cheresse.
Le fruit est un poulain blanc Ă  l’intĂ©rieur, un poulain aux plumes humides encore sur les ailes.

Impitoyable fuite toujours vers le mĂȘme bas oĂč les sabots se sont dĂ©chiquetĂ©s
 »
Le 4 mai, pendant la nuit

et la bougie pleurait en silence aux larmes de cire 

Je me suis promenĂ©e sur la plage plus d’une heure. Le flux avait apportĂ© une Ă©charpe bleue: un bleu volĂ© Ă  mon vĂ©cu ! Je la voulais. Avec Lui j’avais vĂ©cu la mĂȘme chose : je l’avais regardĂ© profondĂ©ment ; son iris Ă©tait noyĂ© dans la mer, bleu comme cette Ă©charpe
 Je le voulais ! Et les vagues tremblaient, chantant en moi
 L’écharpe avait rĂ©veillĂ© en moi son souvenir. Lui
 ombre lente
 ombre amĂšre
 Les mouettes volaient las, au-dessus de ma tĂȘte, comme des poissons dans une mer solide. Brouillard. BuĂ©e. Blanc
La fermeture du cercle Ă©tait remise pour une soirĂ©e plus chaude.
C’était une Ă©charpe simple, rĂąpĂ©e par la lutte avec la mer : ça et lĂ  des trous m’invitaient Ă  refaire l’horizon. Le bout de soie sentait fortement les algues, le sel, la mer 
Ses cheveux fatiguĂ©s sentaient fortement les algues, le sel, la mer sous le coucher du soleil. Tout ce que je pouvais lui voler c’étaient des restes de vue, des ombres de pas, des gouttes de touchers
Abandon.
J’avais saisi l’écharpe affamĂ©e et j’ai eu la sensation de reconstruire de ce petit rien en soie la chaleur de ses bras. Il me manquait. J’avais fermĂ© les yeux et lui, avec tout ce qui m’a apprivoisĂ©e un jour, en me rendant docile, calme, heureuse prĂšs de lui, il Ă©tait là
 »
HĂ©rissĂ©es par mes doigts Ă  peau Ăąpre, les feuilles mordues par l’encre frĂ©missaient au-dessus du rĂȘve de ses os fragiles

« C’étaient peut – ĂȘtre la mer, le ciel bleu, l’atmosphĂšre liquide de mĂ©lancolie ou tout simplement l’heure du soir qui faisaient naĂźtre le passĂ© des eaux salĂ©es 
 des eaux qui murmuraient en moi
 Un Moi oubliĂ© se dressait du bout de soie comme un esclave qui n’avait rien Ă  perdre
 Tunerga !
J’avais fermĂ© tous les mots au coin des paupiĂšres, seule avec moi

J’ai serrĂ© l’écharpe contre moi, avec envie, avec douleur, avec regret. En tressautant j’ai accumulĂ© dans mon bras droit toute la force dont j’étais capable et je l’ai jetĂ©e Ă  l’eau. J’attendais que la mer la porte au large, loin de moi. Mais les vagues l’apportaient d`une maniĂšre rĂ©pĂ©titive tout prĂšs de moi : point bleu dans un vert d’algues
Un Ɠil
et pleurait...

Queues de baleines affamĂ©es. Faim de la terre au bord des mers salĂ©es. Vagues. Coquillages. MĂ©duses. Ciel renversé L’écharpe m’invitait des vagues, toujours plus fortes, de la couvrir avec mes paumes chaudes, de l’abriter contre le froid du passĂ©. Au – dessus de ma tĂȘte, sur la scĂšne des nuages, les mouettes mettaient en scĂšne un vol bruyant et la nuit tombait, rideau lourd, sur le chant de la mer 
Je suis partie. Mes pas laissaient des traces sur les joues de la terre. J’étais arrivĂ©e parmi les chardons. Je les entendais mourir sous mes sandales
L’écharpe avait pleurĂ© toutes ses larmes
Maintenant elle me parlait la langue du vent
 j’ai eu peur
J’ai commencĂ© Ă  courir.
Le 6 mai

les vagues frappent en moi l’os blanchi par le temps, le sel et le vent 

Et je me sens mal Ă  cause de cette eau nausĂ©abonde qui s’est fait mer dans mon ĂȘtre. Et je vais partir, pour guĂ©rir, vers la source d’oĂč je serai nĂ©e encore une fois

Chez moi j’ai eu froid. Les flammes rouges s’intensifiaient en consumant la chair blanche du bois. Et pourtant des frissons inexplicables traversaient mon corps. L’écharpe, comme Lui, vivait en moi. Elle cachait la danse du serpent et la chasse des hiboux
Vin rouge, sentiments jaunes. Le vin glissait parmi mes lĂšvres pleines : un rouge un peu amer sentant la cannelle
La derniĂšre fois que j’avais senti ce goĂ»t, il m’avait racontĂ© l’histoire du loup blanc. J’avais bu alors le vin inconsciemment, attentive Ă  ses yeux brillants, Ă  sa voix basse et douce, au feu
Le loup blanc Ă©tait lui et du poil avait commencĂ© Ă  lui pousser sur les joues. Une belle fourrure blanche, Ă©paisse. Je voyais ses dents blanches, menaçantes, et la langue, tellement rouge, claquer affreusement!
« Je t’ai fait peur avec cette histoire ?» Sa voix venait de loin et je la connaissais bien. Probablement j’avais ri, en touchant lentement, curieuse, sa joue olivĂątre. Il a souri doucement, entourant tout mon ĂȘtre avec son regard noir, si noir !
Toutes les nuits, mises ensemble, n’auraient pas pu remplir l’obscuritĂ© de ses yeux
Ses doigts ont caressĂ© les miens avec chaleur, avec douceur. Je sentais ma main accomplie, ronde, parfaite sous ses caresses.
« Je peux voler seulement au long de tes bras. Je sens pousser des plumes sur mes bras
 Un vol se construit en moi, de plus en plus aigu, de plus en plus large
Le vol dresse sur mon os fatiguĂ© une aile droite. Prends ma main ! Je ne vole qu’avec toi ! Deux mains s’aimer: voilĂ  le vol ! »
On n’aimait pas les mots. Des silences lourds tombaient souvent sur nous et des crĂ©puscules Ă©taient engloutis par nos lĂšvres.
« Un soir on devrait nous jeter tous les deux dans la mer ! 
Une telle soirĂ©e me fait croire qu’avec toi je deviens terre sablonneuse qui engloutit vague aprĂšs vague jusqu’à ce que la mer, fatiguĂ©e et furieuse, vienne se coucher Ă  mes pieds. »
« Et moi ? Je serais oĂč? »
« Dans un bouquet de coraux.»
Je le regardais chaleureusement
Il savait si beau se taire! Je pouvais dire mĂȘme qu’il ne parlait que pour faire naĂźtre le silence
 Et seulement entre les cils de ses yeux les silences renaissaient si simplement des cendres
 »
Des douleurs profondes troublaient mon sommeil. Il me regardait quelques secondes, puis il partait en silence. Il devait partir. C`Ă©tait ce qu`il avait promis ! Je restais blottie dans un coin du grand lit sous les draps blancs. Dans l’obscuritĂ© de la chambre, de temps en temps, on entendait mes gĂ©missements courts et aigus. Je me mordais les petits poings et des spasmes courts me faisaient trembler jusque dans la courbe des plantes. Un Ɠil fatiguĂ© s’ouvrait, parfois, craintif, derriĂšre la paupiĂšre aux cils longs pour fixer l’orange dĂ©chiquetĂ©e et quittĂ©e au milieu du plateau, dans une flaque de jus jaunĂątre. Les derniers jours je n’avais presque rien mangĂ©. Les mots Ă©taient ma seule nourriture, des mots venus du passĂ©. Le temps, vieux chien de chasse, s’était couchĂ© sur le seuil de la porte de ma chambre et grognait de toutes ses secondes chaque fois qu’un pied Ă©tranger le poussait un peu. La porte restait fermĂ©e. Seulement Ă  l’heure de la nuit tombante, quand les ombres se relĂąchent dans les coins des murs, un pas Ă©gal rĂ©veillait les Ă©chelles de l’escalier, entassant dans la bouche des pantoufles tous les odeurs lourdes qui Ă©taient dans ma chambre. Le plateau disparaissait d’un coup et un autre prenait sa place sur la table de nuit. Pas un mot, pas une caresse. Rien. Celle –ci avait Ă©tĂ© ma volontĂ© ... Pas de pitiĂ© ! 
Seulement dehors, sur le seuil de la porte, toujours fermĂ©e, des larmes restaient jusqu’au lever du soleil pour protĂ©ger le temps de sĂ©cheresse

Le 8 mai
« 
Ivre de trop de monde je buvais ses paroles, je sirotais la Parole
les lettres du premier Mot

Le jour m’a chagrinĂ©. Nuit, soit ma vengeance ! »
« Quarante jours se sont Ă©coulĂ©s pour que je devienne Celui –qui –est
 Maintenant l’eau est profonde et claire Ă  mes sources et des grains de sable sont coupables de la formation des perles dans les mers de mon Ăąme
 Amour : syllabes en agonie ! On va marcher lentement, pieds nus, sur le chemin pierreux de ce mot ! »
Je dansais légÚre sous la vue de ses yeux affamés.
« Je suis nĂ© encore une fois Ă  l’ombre de cette danse. Ombre, ferme mon Ɠil dans l’écuelle de tes paumes !...Coule comme l’eau sur mes joues !
Respire –moi avec tes iris humides comme le brouillard en Ă©té  » Une pirouette Ă©chouĂ©e. Un geste raté Tunerga !... »
Le 10 mai
« En Ă©tĂ©, quand la lune luit ronde dans le ciel, au bord du lac du milieu de la forĂȘt, les nymphes dansent nues, loin des yeux des mortels
 » Mes doigts dessinaient le contour de son visage. Il racontait
 « Un jeune homme sĂ©duit sera fermĂ© dans le ventre de la terre, dans la bouche des dieux, dans leur danse magique
 Jamais un mortel n’a goĂ»tĂ© le plaisir de l’amour aprĂšs avoir vu dans la nuit la danse exaltĂ©e des nymphes !»
Je dansais. Un je-ne-sais-quoi de prĂ©sent et d’oubliĂ© assombrissait la lumiĂšre de mon ĂȘtre. J’hibernais depuis quelque temps dans une grotte secrĂšte de son Moi. Il s`est allongĂ© sur le plancher. Seulement comme ça il pouvait comprendre la verticalitĂ© de ma danse. Il comptait en tĂȘte, les yeux fermĂ©s, les pas de danse : un 
deux 
trois
un-deux-trois
et mes pirouettes : un moine aux priĂšres imparfaites, mais simples et pures comme les pieds nus d’une jeune fille

«  Une danse parfaite ! Un vol parfait !...Et l’aveugle que je suis sarcle encore la terre pour te trouver
 »
Sur la feuille blanche de mon cƓur, j’ai commencĂ© Ă  Ă©crire en vivant. Quelqu’un y avait plantĂ© un grand compas et, lentement, il dessinait, dans ce dĂ©cor vide, un cercle
 J’ai ri. J’étais heureuse d’ĂȘtre Moi. Tout Ă  fait Moi : sans retouche, sans compromis social. Imparfaite. Moi !
Le 12 mai
« Je vois en toi tous les yeux dessinĂ©s sur le plumage coloriĂ© d’un paon. »
« Et tous ces yeux – là
 te voient Ă  leur tour ? »
« Pas tous, mais tous ont vu la danse et un jour ils vont la faire grandir dans le théùtre de mes Moi. »
Le 17 mai

l’alouette en l`air est morte 

Un jour, une tache d’encre a rempli l’espace qui Ă©tait entre deux mots dans le texte de son roman. Avec un cure-dents il a dessinĂ© lĂ  la silhouette d’une femme. Il travaillait absent. La seule image qu`il voyait Ă©tait cette silhouette Ă©trange, bleue, rĂ©sultat du hasard.
« Elle est belle ! », j’ai dit en regardant la tache.
« 
Un oiseau mort est toujours beau
d’une Ă©trange beauté  »
« C’est un oiseau ? »
« C’était une tache que j’avais travaillĂ© un peu. Non, ce n’est pas un oiseau. Il aurait Ă©tĂ© 
toi. »
Je me consumais en cachette. Je mourrais quelque part pour renaĂźtre ailleurs, Ă  une autre extrĂ©mitĂ© du Moi. Sur la crĂȘte d’une vague indĂ©cise, juste avant la chute, les siĂšcles s’abĂźment
 Tunerga !... »
Douleur. Encore une reprise ! J`ai gĂ©mi. Pour ne pas crier, je me mordais les mains. RestĂ©e comme ça pendant quelques minutes, j`attendais que le couteau de la douleur me fasse mal encore une fois. Et soudain, j`ai senti le besoin de me rappeler mon corps. Je l’avais ignorĂ© si longtemps ! Poussant l`agenda vers le bord du lit, je me suis allongĂ©e et, les yeux fermĂ©s, j`essayais de voir mon corps: maigre, aux pieds squelettiques, avec une peau livide et deux ombres de seins
 Malade. Les cheveux chĂątains Ă©taient Ă©pars sur le coussin. Mes paupiĂšres bleuĂątres tremblaient au-dessus des yeux, enfoncĂ©s dans leurs orbites. Ces yeux qui Ă©taient avant si vifs, si curieux, si mystĂ©rieux
Maintenant un autre mystĂšre, plus austĂšre, plus terne, Ă©tait cachĂ© Ă  leur ombre
 Je les ai ouverts largement. Le plafond Ă©tait blanchi Ă  la chaux. Pas un miroir dans ma chambre ! Je les avais cassĂ©es toutes, assoiffĂ©e de tout dĂ©truire, le jour oĂč mon horizon s’était Ă©croulĂ© Ă  cause d`un seul mot ! J`avais brisĂ© la derniĂšre glace au milieu de la chambre. Puis, agenouillĂ©e, j`ai regardĂ© assoiffĂ©e mon image brisĂ©e en mille fragments : une derniĂšre image de ce que j`Ă©tais avant la chute.

AprĂšs ce dernier geste de courage j`ai choisi l’oubli, l’anĂ©antissement de l’ĂȘtre, la solitude.
Le 19 mai
Mon sommeil avait Ă©tĂ© agitĂ©, troublĂ© par un rĂȘve pas comme les autres.
« Un bruit assourdissant
et avec lui les mouettes
Les oiseaux glissaient lentement sur le rideau du ciel. Elles Ă©taient nombreuses. Elles rĂ©pĂ©taient le vol. Des poissons jaillissaient parfois de l`eau et s’accrochaient avec les queues de leurs becs. C’était leur volontĂ© de dĂ©couvrir le vol et pour cela ils s’offraient offrandes aux mouettes. Pour les dieux.
Tous rĂ©pĂ©taient le chaos, la chute, le dĂ©lire, l’agonie. Il y avait la possibilitĂ© de tout rĂ©pĂ©ter, plusieurs fois. Sauf la mort ! Le metteur en scĂšne Ă©tait trĂšs exigeant !
En aube commence d`habitude le spectacle. Toujours une premiĂšre. On a dĂ©jĂ  vendu tous les billets. Ceux qui ont un rĂŽle secondaire, pas trĂšs sollicitant, attendent sages leur tours dans des coins ombreux, en savourant patients leur cafĂ©. L’acteur entre en scĂšne. Il a peut – ĂȘtre quelques rĂ©pliques qu’il doit dire rarement, clairement, pour qu’il soit compris !
Pendant les rĂ©pĂ©titions on Ă©tudie le texte, l’intonation, le mouvement. Le sens du texte n`est pas encore dĂ©voilĂ©. On ne peut comprendre qu’une seule fois : pendant la reprĂ©sentation finale ! Ni mĂȘme le metteur en scĂšne ne comprends rien jusqu’à ce moment lĂ . Il construit les scĂšnes (flirt, pillage, meurtre, mort, etc.) avec le concours des acteurs, au fur et Ă  mesure que les rĂ©pĂ©titions avancent. Le rĂŽle du mort est le plus simple : il crie, il souffre un peu, peut – ĂȘtre il pleure pendant quelques secondes ou purement et simplement il ouvre ses yeux, terrorisĂ©, et meurt. S’il n’atteint pas la perfection, la scĂšne est rĂ©pĂ©tĂ©e sans aucune indication. Chacun doit mourir Ă  sa façon !
Personne n’est prĂ©parĂ© pour ce rĂŽle, c’est Ă©vident ! Le metteur en scĂšne le sait bien, lui-aussi ! Et pourtant, celui qui a reçu le rĂŽle du mort va mourir! S`il ne veut pas mourir, s`il ne peut pas mourir, s`il ne sait pas mourir, il sera aidĂ©. On change le dĂ©cor. Gong !
Une barque, trois marins, du poisson frais dans le filet. L’un respire encore. Il entend, lui – mĂȘme, l’air sortant agressivement de ses branchies avec des sifflements de moins en moins dĂ©sespĂ©rĂ©s, et, quelque part, Ă  l’intĂ©rieur, la chair se gonfle rythmiquement. Sa queue s’agite de plus en plus lentement
AsphyxiĂ©, surpris, silencieux il tombe dans l’autre eau
 On change le dĂ©cor. Gong !
Une femme en robe blanche, un chien, un parapluie, une écharpe aux franges. Gong.
Des bohĂ©miennes aux jupes en couleurs vives dansent endiablĂ©es, les pieds nus. Le bruit fait par les piĂšces d’or mises dans leurs nattes ensorcelle les hommes. À la table une voyante rompt le Temps en secondes et mĂ©lange les Ă©poques. Gong !
Je danse une derniĂšre danse sur l’échiquier. Je fais des pirouettes autour des pions. Puis je passe sursautant vers le coin de la tour. Le cavalier se cabre hennissant Ă  mon septiĂšme pas. Sifflement sur la diagonale de l’échiquier. Le fou entre en danse ! Tu as le sceptre et la couronne du roi. Tu veux m’attraper. Je veux que tu m’attrapes ! Le metteur en scĂšne s’amuse. On prĂ©pare une scĂšne parfaite 
 Gong ! »
Sur la plage il y avait moins de gens. J’ai quittĂ© le bureau. Je suis sorti sur la terrasse, ennuyĂ© par le silence. J’ai allumĂ© une cigarette. La derniĂšre. Il n’y avait pas assez de mer et de ciel pour ma vue. Et le coucher du soleil brisait le rouge

« Je me suis rappelĂ© un moment oĂč, en me cherchant un jour sur ma place de reconnaissance, l’écorce du noyer du verger de mes grands – parents, j’ai senti la peur : je ne m’y trouvais plus ! Je n’étais plus lĂ  ! J’étais partie sans un mot, sans un bruit, de l’autel oĂč j’avais dit, dĂšs mon enfance, des priĂšres
 Mon squelette a Ă©tĂ© bĂąti sur des flaques puantes. J’entre dans la boue et je ne suis ni mĂȘme seule...Que de prĂ©sences !
Que de bruits ! 
et la senteur du soufre. ƒil mort
 Tunerga ! »
Le 20 mai

et la mer avait commencé à devenir plus large en moi, jour aprÚs jour, vague aprÚs vague

Tu gardais le sable humide pour moi. Tu polissais les coquillages pour moi.

Il y a tant d’eau sur la Terre et les couleurs blanchissent à cause du sel

« J’aurais besoin des yeux aux mains et aux pieds pour te voir d’au-delĂ  du Mot, en glissant lentement dans le sommeil des mollusques
Je suis aveugle
 Je suis sourd
 »
« 
Dieu tombĂ© en disgrĂące dans les bras de ta croyance muette
 »
« Je veux seulement que le centre tombe en lui-mĂȘme, jusqu’à ce que la derniĂšre lumiĂšre soit Ă©teinte
 »
« As-tu senti jusqu’à prĂ©sent devenir LumiĂšre ? »
«Oui, je l`avais senti et je le sens chaque fois que tu es avec moi
 »
« Tu peux me déchiffrer ? »
J’ai senti goĂ»t de sang dans ma bouche. Je saignais. Oiseau blessĂ©. Je saignais Ă  mort prĂšs de ses paumes. Vol boiteux

« La LumiĂšre luit ? Celui qui la reçoive
luit 
 Non, je ne sais pas te dĂ©chiffrer. Je perdrais la vue en te lisant
 »
« Enfant que tu es ! Tu n’as encore appris Ă  Ă©crire ton nom dans le sable

En toi des alphabĂštes se brisent et tu n’as pas encore appris le pouvoir de la lettre « A » ! »
Le 21 mai, le matin
J’avais dĂ©couvert un monde de silence, de paix
une paix intĂ©rieure comme celle donnĂ©e par la saveur d’une cigarette ou par l’arĂŽme du cafĂ©, le matin.
« J’aime le cafĂ© noir et chaud. C’est ce cafĂ©-lĂ  qui m’aide Ă  dĂ©verrouiller la porte de la paix simple de l’ĂȘtre
une paix qui brĂ»le en douceur
 »
J’ai frappĂ© tout doucement le fauteuil. Je me suis levĂ© avec un long soupir, comme je le faisais d’habitude, en me frottant les mains. Aucun sentiment ! Je suis allĂ© dans la chambre Ă  coucher. Juste devant moi Ă©tait la vieille fenĂȘtre en bois et le tourment de la mer. J’ai ouvert la fenĂȘtre et j’ai renoncĂ© Ă  toute volontĂ©, vaincu par la fraĂźcheur du matin
Je suis rentrĂ© chez moi, en moi. J’y Ă©tais seul. À peine maintenant je pouvais commencer, de nouveau, Ă  lire.
«Devant les mots il faut ĂȘtre seul, tout nu. Vide de prĂ©sences. Vide de toute prĂ©sence. Tiens ! En me regardant comme ça, avec tes lĂšvres entrouvertes, tu remplis mon vide et je ne peux rien Ă©crire. Je finirai par te crucifier dans un poĂšme ou deux et tes sourcils me gronderont, Ă  l’ombre des points de suspension
 »
Le 22 mai

 nuit rempli des chants des oiseaux
Tunerga !
« J’avais encore une fois la sensation d’écroulement. Je ne savais ni mĂȘme si je cachais la chute, si quelque chose l’avait dĂ©clanchĂ©e en moi ou si, purement et simplement, tout s’ouvrait en moi, contrĂŽlĂ© d’un dehors qui me dĂ©passait
 J’essayais de conduire cet Ă©tat de l’ĂȘtre vers ce que je pensais ĂȘtre Moi, mais c’était comme si dans ma poignĂ©e, fermĂ©e par quelqu’un d’autre, j’étais prisonniĂšre d’un Tout qui explosait en moi: un arc-en-ciel douloureux de sensations
J’étais surprise par la simplicitĂ© de cet acte : couleurs ! Ma pensĂ©e Ă©garĂ©e vibrait de jaune, de bleu, de rouge 
La lumiĂšre blanche s’enroulait sur mes os comme un serpent... »
« 
.Fruits
En automne des pommes pourries parmi les branches des arbres. MalĂ©diction ! »
Je n’abritais plus les mots ; tout l’intĂ©rieur de mon ĂȘtre Ă©tait devenir. J’étais invitĂ©e Ă  voir et Ă  connaĂźtre. J’avais eu,tout Ă  coup la rĂ©vĂ©lation de ma participation Ă  une absence du Moi. J’étais orchestre. Je jouais Ă  tous les instruments. J’étais la flĂ»te, le tambour, la harpe et le violon. Je nâ€˜Ă©tais pas seulement une chanson, mais tout ce qui dĂ©finit une orchestre. Je ne contrĂŽlais, par contre, rien. Je n’accouchais pas des sons, je les libĂ©rais de moi, en moi

« Tu es belle quand tu me regardes comme ça.»
« Comment est-ce que je te regarde ? »
« Comme ça
rond. Ton regard est un cercle qui ensorcelle ma vue. Je tombe Ă  son centre sous ta vue. » 
Et de ses mais froides le lilas blanc m’appelait

Le 23mai

la premiÚre Pensée

« Entends –tu les chiens aboyer ? Ils annoncent la mort du loup blanc.

La trouvaille des perles commence nuit aprĂšs nuit
 mer aprĂšs mer
 Dans les Ă©toiles il y a des perles qui apprennent Ă  hurler
C’est quoi le jeu sinon une meute affamĂ©e ? »
Le 24 mai
Qui es-tu, beauté jamais connue ?...lÚvre pleine allumée par le dernier été ?...Qui es-tu, vécu tout nu?
Le 25 juin

qui a tuĂ© l’alouette ?...
«  Il y avait une fois des biches dans le vol de l’alouette
Elles battaient l’air avec leurs cils longs, mettant le vol plus vertical, plus droit, dans son chemin vers le soleil
 Un jour l’alouette est morte
le loup blanc aussi
et la danse des nymphes
Et l’Ɠil est devenu cercle
et la main est devenue plume 
et le sang a commencĂ© Ă  marcher
 »
« Et l’os ? Qu’est-ce qu’il est devenu ? »
« L’os est devenue fontaine avec neuf sources, captĂ©es dans un cercle, dans les profondeurs de l’Etre. »
« OĂč est morte l’alouette ?...»
Dans la courbe des bras, ses yeux cherchaient le sommeil des mots, pour le flairer, pour l’aboyer, pour le dĂ©chirer

Le 28 mai
Repos sous le noyer. Parmi ses branches le chant des mésanges

Je me suis rĂ©veillĂ©e fatiguĂ©e. Parmi les rideaux la lumiĂšre du jour avait ouvert l’Ɠil du passĂ©. Une senteur douce de lilas remplissait mes narines. Les vagues murmuraient au sein de la mer. Il les nourrissait
Mon tympan avait retenu le rythme de ses pas. Je comptais par cƓur ses pas sur le plancher. Ils figeaient le temps, quittĂ© un autre Ă©tĂ©, Ă  la porte rouillĂ©e d’un immeuble. Et je gardais entĂȘtĂ©e le rĂȘve sous les paupiĂšres, ce rĂȘve qui voulait s’échapper dans le vol des mouettes

« Comment peux-tu dormir jusqu’à cette heure ? »
« Je ne dors pas, je grandis avec le Temps
Parfois j’aime Ă©plucher le Temps et le cracher dans un verre. »
« Et s’il arrive de l’avaler sans l’éplucher ? »
« Cela est arrivé  »
« Et qu’est-ce qui s’est passĂ© ? »
« Des bois moutonneux frĂ©missent en moi quand je respire
 »
« Toi, tu es si ... »
J’aimais beaucoup l’entendre dire « toi » avec chaleur. Le souvenir de l’abĂźme de ce « toi » matinal est si douloureux maintenant
Avec lui j’avais appris que la solitude n’est que le fruit de l’imagination. Il savait faire fontaine des mots et boire l’eau de l’ñme blottie quelque part entre les os.
« Tu sais, parfois je me sens loin, trĂšs loin de ce que je suis, de ce que je sais ĂȘtre ou de ce que je suppose ĂȘtre et, de peur que quelqu’un fasse une confusion entre les numĂ©ros attachĂ©s aux orteils des cadavres, je descends de plus en plus bas en moi pour me retrouver avant de partir... Et comme un enfant Ă©tourdi, Celui-qui-est reste cachĂ© derriĂšre quelque veine et je dois l’appeler avec des mots doux pour le faire sortir. Une fois, vers l’aube d’un jour d’hiver, j’ai senti que Celui-qui-est n`Ă©tait plus avec Moi. Je l’avais appelĂ© longtemps. J’étais triste, fatiguĂ©e et déçue. J’avais pensĂ© qu’il m’avait laissĂ© seule et, Ă  ce moment –lĂ , le silence m’a fait mal. Je sentais ĂȘtre condamnĂ©e Ă  vivre seulement la vie d’une crĂ©ature sociale, rompue de tout ce qui donne l’intimitĂ©, la beautĂ© de l’incarnation de mon nom sur terre. AprĂšs quelque temps je l’avais vu. Celui-qui-est Ă©tait crucifiĂ©e, mais il Ă©tait encore là
 »
J`ai vu les oranges et, avec difficultĂ©, j`ai tendu la main vers le plateau. L’orange m`a Ă©chappĂ©. Sous les fruits, sur le plateau, il y avait un message de lui : « 
Du milieu des mers, au vol brisĂ©, parmi les vagues, tu cries ton nom, Lazara
. »
« J`ai eu les pieds froids. Je les ai pris entre les mains et, pensive, je suis restĂ©e comme ça jusqu’à ce qu’un frisson court me rĂ©veille : « Cancer.» Le mot m’avait paralysĂ©e. Les meubles, les portes, les hommes, les femmes, la lumiĂšre, tout avait disparu d’un coup.
« Vous ne devez pas vous laisser vaincue par la maladie ! » La voix Ă©tait si loin
Je regardais profondĂ©ment deux yeux sur un visage que je ne connaissais pas ! Je sentais tout avaler. L’homme qui me parlait, habillĂ© en blanc, avait commencĂ© Ă  couler, morceau aprĂšs morceau parmi mes lĂšvres.
« On peut encore lutter, essayer encore 
une opĂ©ration
chimiothĂ©rapie 
 »
Pourquoi cet homme ne sent rien ? Je l’avais avalĂ© tout entier ! Il n`est qu`une bouche qui parle !
« On ne peut rien garantir ! » Et si tout l’univers est rĂ©duit Ă  une simple bouche ? 
Et si la lune n’est qu’une dent dans une nuit de chair ? 
Quel silence ! 
Et la dent qui coule si beau sur le palais de cette bouche immense !
« Vous ĂȘtes bien ? Madame ! Madame ! De l’eau ! Vite !» Maintenant je voyais s’ouvrir dans cette bouche – lĂ  un trou noir, profond. Comment un trou si large a-t-il trouvĂ© un peu de place en moi? Est-ce que les ĂȘtres humains sont si spacieux Ă  l’intĂ©rieur ? Et si j’ai avalĂ© cet homme
moi, oĂč est-ce que je suis ?...Ou peut – ĂȘtre ce trou tombe Ă  son tour dans un autre vide plus vaste 
plus chaud ...meilleur
plus simple
Froid ! Peut – ĂȘtre il serait bon que je tremble un peu. Si je claque des dents peut –ĂȘtre je vais hacher tout cet abĂźme, toute cette nuit ! Un claquement sourd. « Mademoiselle ! Lazara ! » Ah ! Les ventres de la nuit ! L’une mĂąche l’autre ! Toujours ! « Lazara ! Viens dehors !...Dehors ! 
Viens ici, au-delĂ  de tout ! Lazara ! Viens ! »
Avec son billet d`adieux, prĂšs de l’ombre des seins, j`ai senti le matin. LibĂ©rĂ©e, j`ai tirĂ© la verrouille de mon attente et toute la mer est entrĂ©e dans ma chambre. J`ai ouvert la porte. Il n’était plus lĂ . Personne n’était lĂ . Il me laissait choisir. AprĂšs tant de jours et de nuits d’attente, je sais d`oĂč je viens
 oĂč je vais partir: « Dehors ! Au – delĂ  de tout
 ! »
J`aimais tant la senteur des algues, du sel, de la mer. Tout est une fougue circulaire vers les vagues
L`agenda Ă©tait restĂ© vert, au milieu du lit. L’encre, sur la derniĂšre page, regardait de travers

Le 29 mai
« As-tu jamais essayĂ© d’arrĂȘter une vague juste avant de mourir sur la plage ? As-tu jamais essayĂ© de lui arrĂȘter la mort? »
J’ai agenouillĂ© sur la plage, au bord de la mer, et j’ai essayĂ© d’arrĂȘter une vague avec mes bras avides de victoire. La vague m’a couvert, comme un voile fin et victorieux, et s’est Ă©tendue sur la plage, derriĂšre moi.
Pour arrĂȘter la suivante, je me suis couchĂ© dans l’eau et j’ai essayĂ© de la prendre et la renverser avec force, pour qu’elle ne touche pas le sable. Capricieuse et Ă©tourdie elle a chatouillĂ© mes plantes et, comme un voile fin et victorieux, elle s’est Ă©tendue sur la plage, derriĂšre moi.
Je me suis dit de l’accueillir dans mes bras, avec chaleur, avec amour, et puis, aprĂšs l’avoir apprivoisĂ©e, la dĂ©poser doucement sur la plage. La vague a hissĂ© folĂątre son front vers mes lĂšvres, les a touchĂ©, impertinente, et comme un voile fin et victorieux, s’est Ă©tendue sur la plage, derriĂšre moi.
« La mort de chaque vague est une renaissance. Pendant que les lĂšvres d’une d’elle touche la plage et meurt, une autre prend vie au large
 On ne possĂšde rien: ni la terre, ni la chair, ni le ciel
Tout en nous est cible pour les archers du Temps

Tu vas sentir un jour une brĂ»lure dans la paume de ta main et, aprĂšs ça, tu me verras, dans tes souvenirs, agenouillĂ© prĂšs d’un Ăątre aux charbons brĂ»lants, plantant une semence dans ta chair avec mes lĂšvres
 »
« Et toi, oĂč seras – tu ? »
« Je dormirai Ă  l’ombre du fruit absurde, peut – ĂȘtre absent
 qui va grandir de ta chair et de la trace de mes genoux sur terre
 »
Le corps maigri par la maladie se dirigeait, flĂšche blanche, vers l’Ɠil de la LumiĂšre
 Il glissait lentement de plus en plus loin dans les eaux bleues, froides, et silencieuses
La mer avait grimpĂ©, en tapinois, vers l’Ɠil libĂ©rĂ© de Lazara, jusqu’au creux des paupiĂšres, en cherchant la source de ses larmes
Une mer 
et pleurait

Le 30 mai
« Échec ! Le fou courait vers le coin du roi. L’échiquier Ă©tait en dĂ©rive. Plus tranquille, la tour avait fermĂ© le cadran. La reine pleurait, capturĂ©e Ă  vie ! Échec et mat! »
Silence ! Une mer de silence
et le ciel si bleu le matin !
Le 31 mai
« Reste ouvert, mon Ɠil ! Ne te ferme pas avant l’aube ! Je sens la bougie riant au coin de la table. Dans la paume de ma main des anges sont venus dormir
 Une ombre a accompli sa marche
Une marche a accompli son ombre
. Tes pas passent...Sur leur traces mes larmes noient toutes mes priĂšres 
 »
J’avais Ă  peine fini l’histoire de Lazara et tout en moi l’appelait, tout en moi chuchotait son nom, tout en moi comprenait
avait peur
dĂ©sirait la rencontrer, changer ce qui pouvait ĂȘtre changĂ©, accepter un destin coupĂ© trop vite par le hasard 
et sans espoir.
Bruit. Voix. Alarme. Brouhaha. Ambulances. Hautparleurs. Je me vois courir. Je me sens curieux. Je me sens las de tout connaĂźtre. Je me sens vaincu. Je ne me sens plus. J’arrive sur la plage. Des gens agitĂ©s. Trop de bruit pour un jour de deuil. Le premier juin 1997.
Je devine : le jour de mes noces
 le jour de ses funérailles.

J’ai refusĂ© trop de fois son nom. Je le refuse encore

« NoyĂ©e. Elle a nagĂ© trop loin. La pauvre. Elle Ă©tait jeune. Trop mince. Elle est restĂ©e quelque temps dans l’eau. N’approchez pas ! C’est dur Ă  voir ; S’il vous plaĂźt ! N’approchez pas ! »
Trop de bruit. Trop de monde, Lazara !...
Je reste agenouillé devant la mer, à quelques mÚtres de son corps. Deux existences parallÚles : moi vivant, elle morte 
et entre nous toute une éternité, un agenda vert et lui

« Quelques heures pour t’aimer. Une vie pour vivre sans toi. Une Ă©ternitĂ© pour te chercher, Lazara
 »

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