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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2021-09-03 | [This text should be read in francais] |
Tout a commencĂ© le soir de 31 mai 1997. JâĂ©tais Ă peine arrivĂ© au bord de la mer. Jâavais laissĂ© ma valise dans une maisonnette, situĂ©e sur une colline tout prĂšs de la plage et, en oubliant la fatigue, la chaleur, le rythme du train, je suis parti en sifflant vers la mer. La maisonnette aux murs blancs et sa petite palissade me guettaient du haut de la colline.
Je venais ici pour refaire, chaque annĂ©e, le film du naufrage de mon Moi au bord de la vie. Ici je voulais oublier la routine, un rythme sans cause, une rĂ©alitĂ© sans but. Ici je voulais me rappeler mon Moi muet, crachĂ© par lâabsolu peut-ĂȘtre, dans un systĂšme pourri. Jâavais créé un petit jeu: j`Ă©crivais en automne une lettre Ă ma raison, soumise au temps chronologique. Je la mettais dans une bouteille que je lançais Ă lâeau. En mai jâavais pris lâhabitude de chercher la bouteille. Je ne la trouvais jamais, mais la chercher me faisait bien. CâĂ©tait la lutte de mon Moi profond contre le Moi superficiel, toujours Ă lâheure au travail, toujours au service dâune cause, le plus souvent, perdue Ă lâavance. Je prĂ©parais, contre ma raison, lâĂ©vasion des sens, toujours en quĂȘte de lâinfaillible. Jâai commencĂ©, ainsi, ce soir de mai, encore une fois, lâaventure de dĂ©centration, dâintrospection, la quĂȘte de lâintrouvable⊠la retrouvaille. Solitude au bord de la mer. CrĂ©puscule. BaptĂȘme Ă lâenvers : je suis entrĂ© dans la vie comme dans la mer: tout nu. Jâaime le crĂ©puscule, la chute, le dĂ©part, le silence, lâobscuritĂ© et les portes de la nuit. Les non â dits de lâĂȘtre se cachent lĂ ... Ce soir â lĂ un frisson nerveux maĂźtrisait mon corps et la raison vibrait de douleur. Une douleur constante, irritante, qui me volait le plaisir de vivre pleinement le rituel de la rencontre avec la Mer Noire. Jâavais pris une bouteille de vin rouge Ă la main et deux cigarettes, que jâavais mises dans la poche de la chemise. Pieds nus, je vivais, les yeux fermĂ©s, le plaisir dâenfoncer mes plantes fatiguĂ©es dans le sable encore chaud. Des fragments de coquilles griffaient la peau de mes chevilles et je boitais un peu aprĂšs ça, cherchant, quand mĂȘme, Ă sentir cette douleur unique, puissante, Ă©trangeâŠJ`ai trouvĂ©, comme toujours, la grande pierre plate, ma pierre, couverte dâalgues, froide, accueillante et humide. Je me suis allongĂ©e sur elle, le bras gauche sous la tĂȘte, un pied Ă lâeau et lâautre pliĂ© sous mon corps. Je pensais au ciel aveugle en oubliant tout sous la coupole bleue, mais la bouteille de vin mâest Ă©chappĂ©e de la main et son bruit mâa rĂ©veillĂ© de ma rĂȘverie. Jâai souri, jâai quittĂ© la pierre et je me prĂ©parais Ă allumer une cigarette quand jâai vu un bout de feuille de papier Ă©crite, couvert par le sable. CâĂ©tait comme un oeil jaunĂątre et craintif. Jâai senti une sorte de joie frĂ©nĂ©tique, le bonheur de celui qui ne cherche rien et qui trouve un petit trĂ©sor par hasard. J`avais hĂąte Ă lire le petit mot, mis lĂ par une main Ă©trangĂšre. Il y avait encore un peu de lumiĂšre, mais je devais me dĂ©pĂȘcher. La nuit prĂ©parait son entrĂ©e en scĂšne. Jâai Ă©teint la cigarette et je me suis assis sur la pierre froide. La mer Ă©cumait tranquillement, se dissipant espiĂšgle parmi mes orteils. â [...] Je peux te dire seulement que les nuages sont dans mon esprit. Je les mets lĂ chaque fois que la lumiĂšre me fait peur âŠet le dernier temps, la peur m` habite assez souvent...Et je me taisâŠJâai peur de moi⊠jâai peur de lâobscurité⊠jâai peur du silence qui m`entoure⊠jâai peur que tu ne trouves pas ce texte et que tu ne dĂ©chiffres pas mes inquiĂ©tudes...Jâai peur de mots.â Jâai tressailli. En lisant ces mots, jâai Ă©tĂ© envahi par quelque chose qui venait de loin, un je-ne-sais-quoi auquel jâavais toujours rĂȘvĂ©, un je-ne-sais-quoi que mon esprit connaissait depuis longtemps, quâil avait reconnu et qui avait commencĂ© Ă me ravager dâau-delĂ de lâĂȘtre... Le ciel Ă©tait de plus en plus rouge. La nuit tombait tout doucement sur la terre. Une mouette a criĂ© juste au-dessus de ma tĂȘte. Si aigu ! Jâai sursautĂ© et le papier mâest Ă©chappĂ© de la main. Je lâai repris difficilement et, pour une seconde, je me suis rendu compte que jâaimais la main qui a Ă©crit ces mots et lâoeil qui a regardĂ© les lettres que le sable, le vent et la pierre ont gardĂ©s lĂ , pour moi. âTu es parti comme les papillons : mystĂ©rieux, silencieux, fermĂ©...Pourquoi est-ce que je te dĂ©couvre toujours dans ton silence? Ne suis-je pas, moi-mĂȘme, faite des silences? âŠPourquoi ce fourmillement de la nuit de chair et de sang?...Le Rien me pĂšseâŠLe Rien mâappelle⊠Câest comme une dent sans bouche qui apprend toute seule le mouvement, la rĂ©sistance, Ă claquer, se heurtant contre une autre, trouvĂ©e par hasard⊠OĂč chercher un troupeau de dents pour former la bouche ? Je meurs entre les claquements des Mois qui m`habitent jusquâĂ ce que, dans le chaos du grand Rien, je vais dĂ©finir ma folie, mon mouvement, mon rythme, pour accomplir ma galaxie dâexistences [...]â Il faisait dĂ©jĂ nuit. Jâai cherchĂ© mon briquet, jâai fait un peu de lumiĂšre et jâai continuĂ© Ă lire. Soudain lâinquiĂ©tude sâest nichĂ©e en moi: Elle manquait, la main qui avait Ă©crit ce texte manquait aussi... et moi, je voulais apporter ses vĂ©cus en moi⊠« Quand on sâest rencontrĂ©s la premiĂšre fois tu mâavais parlĂ© avec tes silences. Le menton se reposant dans la paume de ta main, un air fatiguĂ©, tu Ă©tais un peu surpris et ...si seul ! Tes iris criaient en agonie. Pendu en toi, tu en avais peur. Tellement peur! « Dis âmoi que tu aimerais rester une vie dans mes bras ! », jâai dit, et tu tâes prĂ©cipitĂ© vers moi, tu mâas pris dans tes bras, tu mâas volĂ© aux amis qui mâaccompagnaient et tu mâas portĂ© comme ça jusquâau bord de la mer. Ici, sur cette pierre, prĂšs des vagues, tu as brisĂ© lâarc de ma vue avec tes yeux noirs, pleins de nuits et de rĂȘves...Et tu mâas fermĂ© en toi, dans le nid rond de ta vue...âDis âmoi que tu aimerais rester une vie dans mes brasâ, mâas-tu dit...Et toute cette nuit âlà ⊠toute cette nuit de mai, dâabsences et de prĂ©sences , Ă©tait lĂ , sous la tente de tes yeux [...]â Le texte finissait lĂ . Jâai criĂ© en sautant sur le sable: jâavais oubliĂ© le briquet dont la flamme a brĂ»lĂ© la chair de mon pouce. CâĂ©tait tout. Je nâavais plus un mot. Rien de cette âvoixâ venue de nulle part. La douleur de lâĂąme Ă©tait plus forte que celle de la chair. Je voulais rugir comme les lions, pleurer comme les veuves. CâĂ©tait tout? Jâavais fini le texte et la nuit Ă©tait morte au seuil de sa porte⊠Je me sentais perdu. Jâai libĂ©rĂ© ma colĂšre devant la mer, le ciel et la terre. Je voulais plus que ça. Je voulais toute lâhistoire. Jâai continuĂ© ma rĂ©volte en fumant trois cigarettes sans pause. Puis, plus triste que jamais, jâai pliĂ© la feuille de papier et je lâai mise dans la poche de la chemise. La douleur que jâavais sentie au dĂ©but revenait Ă chaque pas. Sur ma pierre verte, glissante, sentant les algues, seule et froide, quelquâun en moi avait vĂ©cu une histoire que j`attendais depuis longtemps. Je suis tombĂ© Ă genoux, contrariĂ©. Absent, je me suis dĂ©shabillĂ© et nu, je suis entrĂ© dans lâeau froide de la mer. BaptĂȘme. Jâai nagĂ© au large jusquâĂ ce que la fatigue s`installe dans tous mes muscles, puis, dĂ©cidĂ© Ă oublier la petite aventure qui risquait de me faire sortir pour toujours du processus social dâuniformisation des pensĂ©es du prolĂ©tariat, je me suis habillĂ© et je suis parti vers la maisonnette, devenue pour l`instant « chez moi ». Jâai eu une nuit agitĂ©e. Je ne pouvais pas oublier la petite histoire Ă©trange. Le lever du soleil mâa trouvĂ© sur la plage, pensif, agitĂ©, malade de solitudeâŠJâai trouvĂ© ma pierre, toujours verte, toujours silencieuse et je m`y suis allongĂ©, le visage vers les cieux. Et soudain une pensĂ©e mâest venue Ă lâesprit. Je me suis levĂ© et j`ai commencĂ© Ă chercher dans le sable, sous la pierre, un signe qu`Elle a voulu laisser ses pensĂ©es Ă quelqu`un qui les comprennes, quelqu`un qui les garde avec soin, quelqu`un choisi par le hasardâŠ. Et, aprĂšs une dizaine de minutes, je l`ai trouvĂ© : une petite boĂźte en mĂ©tal, cachĂ©e lĂ , dans le sable. CâĂ©tait une boĂźte de biscuits, carrĂ©. Un trĂ©sor mĂ©tallique. Jâai fait des efforts pour lâouvrir. Ă lâintĂ©rieur il y avait un agenda vert, mis dans un sac en plastique. Jâai sorti un cri vainqueur et, sans tarder, jâai rompu le sac en plastique pour voir si câĂ©tait ce que jây espĂ©rais trouverâŠOui, câĂ©tait un agenda vert, peut-ĂȘtre son journal. « Tiens ! Elle voulait vraiment un tĂ©moin pour son histoire ⊠Quelquâun qui lise ses mots ! » Jâai ouvert lâagenda, tout doucement, et alors j`ai Ă©tĂ© surpris par la dĂ©couverte d`une nouvelle surprise: sur la premiĂšre page il y avait un messageâŠpour moi : 31 mai 1997 Un petit mot pour toi. Garde mon silence! Garde mon secret!âŠet sois maudit! âŠet sois bĂ©ni! âŠSois maudit Ă connaĂźtre ma douleur ! âŠSois bĂ©ni Ă vivre ta vie en m`aimant au-delĂ des cieux et du TempsâŠTunerga. » JâĂ©tais contrariĂ©. Ămu. ĂtonnĂ©. Elle avait laissĂ© son agenda sous la pierre le jour mĂȘme oĂč je suis arrivĂ©. Sous ma pierre ! Ătrange⊠«Tunerga ? Le destin travaille dur, comme je vois ! ». Jâai pris la petite boĂźte et je suis parti, tranquille, prendre mon petit dĂ©jeuner. Je sentais un bonheur plus fort que moi, inexplicable, puissant, mais je voulais avoir patience encore un peu de temps⊠Ma raison Ă©tait ankylosĂ©e, seulement le cĆur menait mes pas. Ma main gauche gardait le trĂ©sor. Geste inespĂ©rĂ©âŠÂ«Tunerga ?» ArrivĂ© chez moi jâai allumĂ© une cigarette et, avec douceur, jâai tournĂ© la premiĂšre page⊠Le premier mai, le soir ⊠Du croc du temps, brĂ»lante magma. Silence aveugleâŠTunerga ! Hier jâai appris Ă Ă©crire. Hier jâai appris Ă mâĂ©crire. Hier jâai Ă©crit mon nom sur lâĂ©corce dâun noyer : Lazara ! âŠ. Et mon nom sâest levĂ© et a commencĂ© Ă marcher⊠Le 2 mai âŠles tourterelles chantaient sous les auges ⊠Soir. Un soir dâautomne aux feuilles gĂ©missant de larves, un soir oĂč lâair est devenu Ă©pais est lourd des ombres de la nuit. JâĂ©tais sur la terrasse, assise sur une vieille chaise en bois de chĂȘne. La cigarette pendait paresseuse au coin de ma bouche. Au-dessus, quelque part, des acariens croquaient rythmiquement une vieille poutre et, tout doucement, le labyrinthe grouillant des automnes de la raison ont alourdi mon ĂȘtre en me jetant dehorsâŠJâavais commencĂ©, depuis quelque temps, Ă rĂ©pondre Ă la volontĂ© de la PensĂ©e, la premiĂšre, la plus large, celle dans laquelle tous mes eaux jouent, celle contre laquelle tous mes vents sâĂ©crasent, celle oĂč toutes mes chimĂšres sâenchevĂȘtrentâŠJe sentais parfois comme des fils dâaraignĂ©e mâattachaient Ă cet Ă©tat pur, unique, inimaginable, et le jeu poussait de rien, liquide, en remplissant le vaisseau en os que j`Ă©tais. On Ă©tait toujours deux : Moi et l` Autre Moi. On se regardait intensĂ©ment, Ă©trangeâŠMaintenant jâĂ©tais loin, dans le cercle blanc dâoĂč seulement des pas Ă©chappĂ©s Ă lâarc de la vue pouvaient approcher l`Autre Ă mes plantes fatiguĂ©esâŠUne trouvaille qui mâĂ©puisait physiquement, une trouvaille Ă laquelle le corps essayait de renoncer, une trouvaille par laquelle ma raison continuait Ă vivre. Tout avait commencĂ© avec un rĂȘve Ă©trange, opaque, froid, carrĂ©âŠJâai eu peur de sentir l`Autre prĂšs de moi⊠Je me suis noyĂ©e dans une pensĂ©e de rĂ©serve et le premier Moi, issu dâune eau plus profonde et plus froide, se sentait mĂ»r, plus sage et trop seulâŠLa chute avait ouvert ses portes et la marche Ă©tait devenue un glissement vers le point. La vue avait dĂ©passĂ© encore une fois la limite de la cornĂ©e. JâĂ©tais Ă la place de lâAutre. JâĂ©tais prĂ©sence⊠Tunerga !⊠Large, incroyablement large et dâun blanc immaculĂ©âŠDes sauterelles vertes dĂ©voraient mon sang cru. Le jeu Ă©tait ouvert : comme sur un immense Ă©chiquier les distances se fermaient dans des carreaux glacĂ©s. Seulement des ombres surprises en pleine chute coulaient dâun coin vers lâautre, folles et brĂ»lantes⊠Danse. Danse en dĂ©rive. Faute de pas, des sensations ramaient vers la rive des sabots. La criniĂšre raide fouettait mes Ă©paules. Je dansais le galop et le hennissement jusquâĂ ce que dans un fouettement de vertĂšbres je me suis soulevĂ© en bondissant la tĂȘte, les yeux allumĂ©s. Tunerga !⊠Combien de cercles dans un Ă©tonnement ? En sifflant jâavais attaquĂ© en pas de valse le coin du cavalier. DĂ©marche onduleuse, gracieuse, un peu neutreâŠÂ« Tâes si loin. Jâai parfois la sensation que tout vole en toi : tu es comme un essaim de papillonsâŠsi loin⊠seulement toi⊠» « Jâai peur. LĂ tâes si seul. Il y a trop de silence âŠIl y en a tropâŠTout clignotement peut rĂ©veiller Tunerga⊠» La scission me rongeait. Je sentais la manifestation de la pensĂ©e et mĂȘme le seau mĂąchant des mots dâamour, en culbutant au cĆur de la fontaine de mon ĂąmeâŠMon Moi Ă©tait en chute libreâŠÂ« Suis-je entrĂ© dans le nuage blanc ? âŠCelui qui nage juste au-dessus les vignobles ? » Je glissais, la bouche ouverte, dans la masse de vapeurs et le corps lĂ©ger scintillait comme une boule de soleil. Je volais. Je volais avec les lĂšvres, je volais avec les narines ouvertes jusquâau refus, je volais avec les dents dispersĂ©es sur les gencives rougeĂątres. Jâavais rĂ©veillĂ© en moi les plumes. Toutes nues, elles accomplissaient leur marche en volant. Et le nuage claquait sous le frisson de la peur, car le nuage nâavait jamais vu des ailes marchant⊠« Fais de tes ailes sept colonnes dâair. Un vol ne sâaccomplit jamais avec deux ailes. C`est un mythe ça! Tire ton vol ! Tire-le, puisque je te le dis ! Fais de tes ailes sept colonnes dâairâŠJe nâai jamais vu⊠Tunerga ⊠» Je donnais l`impression de dormir profondĂ©ment. Ma main maigre, presque sĂšche, se reposait entre les pages de lâagenda. Lâune des feuilles gardait encore, dans un coin, quelques grains trĂšs fins de sable⊠Je respirais Ă©gal. Lâautre main a suivi avec douceur la ligne de mon menton et la courbe de mes paupiĂšres bleuĂątres⊠« ToiâŠLazara⊠» Le 3 mai, le soir « Cette eau profonde sent le jument ! Il se noie en elle-mĂȘme comme un haras tuĂ© par la sĂ©cheresse. Le fruit est un poulain blanc Ă lâintĂ©rieur, un poulain aux plumes humides encore sur les ailes. âŠImpitoyable fuite toujours vers le mĂȘme bas oĂč les sabots se sont dĂ©chiquetĂ©s⊠» Le 4 mai, pendant la nuit âŠet la bougie pleurait en silence aux larmes de cire ⊠Je me suis promenĂ©e sur la plage plus dâune heure. Le flux avait apportĂ© une Ă©charpe bleue: un bleu volĂ© Ă mon vĂ©cu ! Je la voulais. Avec Lui jâavais vĂ©cu la mĂȘme chose : je lâavais regardĂ© profondĂ©ment ; son iris Ă©tait noyĂ© dans la mer, bleu comme cette Ă©charpe⊠Je le voulais ! Et les vagues tremblaient, chantant en moi⊠LâĂ©charpe avait rĂ©veillĂ© en moi son souvenir. Lui⊠ombre lente⊠ombre amĂšre⊠Les mouettes volaient las, au-dessus de ma tĂȘte, comme des poissons dans une mer solide. Brouillard. BuĂ©e. BlancâŠLa fermeture du cercle Ă©tait remise pour une soirĂ©e plus chaude. CâĂ©tait une Ă©charpe simple, rĂąpĂ©e par la lutte avec la mer : ça et lĂ des trous mâinvitaient Ă refaire lâhorizon. Le bout de soie sentait fortement les algues, le sel, la mer âŠSes cheveux fatiguĂ©s sentaient fortement les algues, le sel, la mer sous le coucher du soleil. Tout ce que je pouvais lui voler câĂ©taient des restes de vue, des ombres de pas, des gouttes de touchersâŠAbandon. Jâavais saisi lâĂ©charpe affamĂ©e et jâai eu la sensation de reconstruire de ce petit rien en soie la chaleur de ses bras. Il me manquait. Jâavais fermĂ© les yeux et lui, avec tout ce qui mâa apprivoisĂ©e un jour, en me rendant docile, calme, heureuse prĂšs de lui, il Ă©tait là ⊠» HĂ©rissĂ©es par mes doigts Ă peau Ăąpre, les feuilles mordues par lâencre frĂ©missaient au-dessus du rĂȘve de ses os fragiles⊠« CâĂ©taient peut â ĂȘtre la mer, le ciel bleu, lâatmosphĂšre liquide de mĂ©lancolie ou tout simplement lâheure du soir qui faisaient naĂźtre le passĂ© des eaux salĂ©es ⊠des eaux qui murmuraient en moi⊠Un Moi oubliĂ© se dressait du bout de soie comme un esclave qui nâavait rien Ă perdre⊠Tunerga ! Jâavais fermĂ© tous les mots au coin des paupiĂšres, seule avec moi⊠Jâai serrĂ© lâĂ©charpe contre moi, avec envie, avec douleur, avec regret. En tressautant jâai accumulĂ© dans mon bras droit toute la force dont jâĂ©tais capable et je lâai jetĂ©e Ă lâeau. Jâattendais que la mer la porte au large, loin de moi. Mais les vagues lâapportaient d`une maniĂšre rĂ©pĂ©titive tout prĂšs de moi : point bleu dans un vert dâalguesâŠUn ĆilâŠet pleurait... âŠQueues de baleines affamĂ©es. Faim de la terre au bord des mers salĂ©es. Vagues. Coquillages. MĂ©duses. Ciel renversĂ©âŠLâĂ©charpe mâinvitait des vagues, toujours plus fortes, de la couvrir avec mes paumes chaudes, de lâabriter contre le froid du passĂ©. Au â dessus de ma tĂȘte, sur la scĂšne des nuages, les mouettes mettaient en scĂšne un vol bruyant et la nuit tombait, rideau lourd, sur le chant de la mer âŠJe suis partie. Mes pas laissaient des traces sur les joues de la terre. JâĂ©tais arrivĂ©e parmi les chardons. Je les entendais mourir sous mes sandalesâŠLâĂ©charpe avait pleurĂ© toutes ses larmesâŠMaintenant elle me parlait la langue du vent⊠jâai eu peurâŠJâai commencĂ© Ă courir. Le 6 mai âŠles vagues frappent en moi lâos blanchi par le temps, le sel et le vent ⊠Et je me sens mal Ă cause de cette eau nausĂ©abonde qui sâest fait mer dans mon ĂȘtre. Et je vais partir, pour guĂ©rir, vers la source dâoĂč je serai nĂ©e encore une fois⊠Chez moi jâai eu froid. Les flammes rouges sâintensifiaient en consumant la chair blanche du bois. Et pourtant des frissons inexplicables traversaient mon corps. LâĂ©charpe, comme Lui, vivait en moi. Elle cachait la danse du serpent et la chasse des hibouxâŠVin rouge, sentiments jaunes. Le vin glissait parmi mes lĂšvres pleines : un rouge un peu amer sentant la cannelleâŠLa derniĂšre fois que jâavais senti ce goĂ»t, il mâavait racontĂ© lâhistoire du loup blanc. Jâavais bu alors le vin inconsciemment, attentive Ă ses yeux brillants, Ă sa voix basse et douce, au feuâŠLe loup blanc Ă©tait lui et du poil avait commencĂ© Ă lui pousser sur les joues. Une belle fourrure blanche, Ă©paisse. Je voyais ses dents blanches, menaçantes, et la langue, tellement rouge, claquer affreusement! « Je tâai fait peur avec cette histoire ?» Sa voix venait de loin et je la connaissais bien. Probablement jâavais ri, en touchant lentement, curieuse, sa joue olivĂątre. Il a souri doucement, entourant tout mon ĂȘtre avec son regard noir, si noir !âŠToutes les nuits, mises ensemble, nâauraient pas pu remplir lâobscuritĂ© de ses yeuxâŠSes doigts ont caressĂ© les miens avec chaleur, avec douceur. Je sentais ma main accomplie, ronde, parfaite sous ses caresses. « Je peux voler seulement au long de tes bras. Je sens pousser des plumes sur mes bras⊠Un vol se construit en moi, de plus en plus aigu, de plus en plus largeâŠLe vol dresse sur mon os fatiguĂ© une aile droite. Prends ma main ! Je ne vole quâavec toi ! Deux mains sâaimer: voilĂ le vol ! » On nâaimait pas les mots. Des silences lourds tombaient souvent sur nous et des crĂ©puscules Ă©taient engloutis par nos lĂšvres. « Un soir on devrait nous jeter tous les deux dans la mer ! âŠUne telle soirĂ©e me fait croire quâavec toi je deviens terre sablonneuse qui engloutit vague aprĂšs vague jusquâĂ ce que la mer, fatiguĂ©e et furieuse, vienne se coucher Ă mes pieds. » « Et moi ? Je serais oĂč? » « Dans un bouquet de coraux.» Je le regardais chaleureusementâŠIl savait si beau se taire! Je pouvais dire mĂȘme quâil ne parlait que pour faire naĂźtre le silence⊠Et seulement entre les cils de ses yeux les silences renaissaient si simplement des cendres⊠» Des douleurs profondes troublaient mon sommeil. Il me regardait quelques secondes, puis il partait en silence. Il devait partir. C`Ă©tait ce qu`il avait promis ! Je restais blottie dans un coin du grand lit sous les draps blancs. Dans lâobscuritĂ© de la chambre, de temps en temps, on entendait mes gĂ©missements courts et aigus. Je me mordais les petits poings et des spasmes courts me faisaient trembler jusque dans la courbe des plantes. Un Ćil fatiguĂ© sâouvrait, parfois, craintif, derriĂšre la paupiĂšre aux cils longs pour fixer lâorange dĂ©chiquetĂ©e et quittĂ©e au milieu du plateau, dans une flaque de jus jaunĂątre. Les derniers jours je nâavais presque rien mangĂ©. Les mots Ă©taient ma seule nourriture, des mots venus du passĂ©. Le temps, vieux chien de chasse, sâĂ©tait couchĂ© sur le seuil de la porte de ma chambre et grognait de toutes ses secondes chaque fois quâun pied Ă©tranger le poussait un peu. La porte restait fermĂ©e. Seulement Ă lâheure de la nuit tombante, quand les ombres se relĂąchent dans les coins des murs, un pas Ă©gal rĂ©veillait les Ă©chelles de lâescalier, entassant dans la bouche des pantoufles tous les odeurs lourdes qui Ă©taient dans ma chambre. Le plateau disparaissait dâun coup et un autre prenait sa place sur la table de nuit. Pas un mot, pas une caresse. Rien. Celle âci avait Ă©tĂ© ma volontĂ© ... Pas de pitiĂ© ! âŠSeulement dehors, sur le seuil de la porte, toujours fermĂ©e, des larmes restaient jusquâau lever du soleil pour protĂ©ger le temps de sĂ©cheresse⊠Le 8 mai « âŠIvre de trop de monde je buvais ses paroles, je sirotais la ParoleâŠles lettres du premier Mot⊠Le jour mâa chagrinĂ©. Nuit, soit ma vengeance ! » « Quarante jours se sont Ă©coulĂ©s pour que je devienne Celui âqui âest⊠Maintenant lâeau est profonde et claire Ă mes sources et des grains de sable sont coupables de la formation des perles dans les mers de mon Ăąme⊠Amour : syllabes en agonie ! On va marcher lentement, pieds nus, sur le chemin pierreux de ce mot ! » Je dansais lĂ©gĂšre sous la vue de ses yeux affamĂ©s. « Je suis nĂ© encore une fois Ă lâombre de cette danse. Ombre, ferme mon Ćil dans lâĂ©cuelle de tes paumes !...Coule comme lâeau sur mes joues !âŠRespire âmoi avec tes iris humides comme le brouillard en Ă©té⊠» Une pirouette Ă©chouĂ©e. Un geste ratĂ©âŠTunerga !... » Le 10 mai « En Ă©tĂ©, quand la lune luit ronde dans le ciel, au bord du lac du milieu de la forĂȘt, les nymphes dansent nues, loin des yeux des mortels⊠» Mes doigts dessinaient le contour de son visage. Il racontait⊠« Un jeune homme sĂ©duit sera fermĂ© dans le ventre de la terre, dans la bouche des dieux, dans leur danse magique⊠Jamais un mortel nâa goĂ»tĂ© le plaisir de lâamour aprĂšs avoir vu dans la nuit la danse exaltĂ©e des nymphes !» Je dansais. Un je-ne-sais-quoi de prĂ©sent et dâoubliĂ© assombrissait la lumiĂšre de mon ĂȘtre. Jâhibernais depuis quelque temps dans une grotte secrĂšte de son Moi. Il s`est allongĂ© sur le plancher. Seulement comme ça il pouvait comprendre la verticalitĂ© de ma danse. Il comptait en tĂȘte, les yeux fermĂ©s, les pas de danse : un âŠdeux âŠtroisâŠun-deux-troisâŠet mes pirouettes : un moine aux priĂšres imparfaites, mais simples et pures comme les pieds nus dâune jeune fille⊠«⊠Une danse parfaite ! Un vol parfait !...Et lâaveugle que je suis sarcle encore la terre pour te trouver⊠» Sur la feuille blanche de mon cĆur, jâai commencĂ© Ă Ă©crire en vivant. Quelquâun y avait plantĂ© un grand compas et, lentement, il dessinait, dans ce dĂ©cor vide, un cercle⊠Jâai ri. JâĂ©tais heureuse dâĂȘtre Moi. Tout Ă fait Moi : sans retouche, sans compromis social. Imparfaite. Moi ! Le 12 mai « Je vois en toi tous les yeux dessinĂ©s sur le plumage coloriĂ© dâun paon. » « Et tous ces yeux â là ⊠te voient Ă leur tour ? » « Pas tous, mais tous ont vu la danse et un jour ils vont la faire grandir dans le théùtre de mes Moi. » Le 17 mai âŠlâalouette en l`air est morte ⊠Un jour, une tache dâencre a rempli lâespace qui Ă©tait entre deux mots dans le texte de son roman. Avec un cure-dents il a dessinĂ© lĂ la silhouette dâune femme. Il travaillait absent. La seule image qu`il voyait Ă©tait cette silhouette Ă©trange, bleue, rĂ©sultat du hasard. « Elle est belle ! », jâai dit en regardant la tache. « âŠUn oiseau mort est toujours beauâŠdâune Ă©trange beauté⊠» « Câest un oiseau ? » « CâĂ©tait une tache que jâavais travaillĂ© un peu. Non, ce nâest pas un oiseau. Il aurait Ă©tĂ© âŠtoi. » Je me consumais en cachette. Je mourrais quelque part pour renaĂźtre ailleurs, Ă une autre extrĂ©mitĂ© du Moi. Sur la crĂȘte dâune vague indĂ©cise, juste avant la chute, les siĂšcles sâabĂźment⊠Tunerga !... » Douleur. Encore une reprise ! J`ai gĂ©mi. Pour ne pas crier, je me mordais les mains. RestĂ©e comme ça pendant quelques minutes, j`attendais que le couteau de la douleur me fasse mal encore une fois. Et soudain, j`ai senti le besoin de me rappeler mon corps. Je lâavais ignorĂ© si longtemps ! Poussant l`agenda vers le bord du lit, je me suis allongĂ©e et, les yeux fermĂ©s, j`essayais de voir mon corps: maigre, aux pieds squelettiques, avec une peau livide et deux ombres de seins⊠Malade. Les cheveux chĂątains Ă©taient Ă©pars sur le coussin. Mes paupiĂšres bleuĂątres tremblaient au-dessus des yeux, enfoncĂ©s dans leurs orbites. Ces yeux qui Ă©taient avant si vifs, si curieux, si mystĂ©rieuxâŠMaintenant un autre mystĂšre, plus austĂšre, plus terne, Ă©tait cachĂ© Ă leur ombre⊠Je les ai ouverts largement. Le plafond Ă©tait blanchi Ă la chaux. Pas un miroir dans ma chambre ! Je les avais cassĂ©es toutes, assoiffĂ©e de tout dĂ©truire, le jour oĂč mon horizon sâĂ©tait Ă©croulĂ© Ă cause d`un seul mot ! J`avais brisĂ© la derniĂšre glace au milieu de la chambre. Puis, agenouillĂ©e, j`ai regardĂ© assoiffĂ©e mon image brisĂ©e en mille fragments : une derniĂšre image de ce que j`Ă©tais avant la chute. âŠAprĂšs ce dernier geste de courage j`ai choisi lâoubli, lâanĂ©antissement de lâĂȘtre, la solitude. Le 19 mai Mon sommeil avait Ă©tĂ© agitĂ©, troublĂ© par un rĂȘve pas comme les autres. « Un bruit assourdissantâŠet avec lui les mouettesâŠLes oiseaux glissaient lentement sur le rideau du ciel. Elles Ă©taient nombreuses. Elles rĂ©pĂ©taient le vol. Des poissons jaillissaient parfois de l`eau et sâaccrochaient avec les queues de leurs becs. CâĂ©tait leur volontĂ© de dĂ©couvrir le vol et pour cela ils sâoffraient offrandes aux mouettes. Pour les dieux. Tous rĂ©pĂ©taient le chaos, la chute, le dĂ©lire, lâagonie. Il y avait la possibilitĂ© de tout rĂ©pĂ©ter, plusieurs fois. Sauf la mort ! Le metteur en scĂšne Ă©tait trĂšs exigeant ! En aube commence d`habitude le spectacle. Toujours une premiĂšre. On a dĂ©jĂ vendu tous les billets. Ceux qui ont un rĂŽle secondaire, pas trĂšs sollicitant, attendent sages leur tours dans des coins ombreux, en savourant patients leur cafĂ©. Lâacteur entre en scĂšne. Il a peut â ĂȘtre quelques rĂ©pliques quâil doit dire rarement, clairement, pour quâil soit compris ! Pendant les rĂ©pĂ©titions on Ă©tudie le texte, lâintonation, le mouvement. Le sens du texte n`est pas encore dĂ©voilĂ©. On ne peut comprendre quâune seule fois : pendant la reprĂ©sentation finale ! Ni mĂȘme le metteur en scĂšne ne comprends rien jusquâĂ ce moment lĂ . Il construit les scĂšnes (flirt, pillage, meurtre, mort, etc.) avec le concours des acteurs, au fur et Ă mesure que les rĂ©pĂ©titions avancent. Le rĂŽle du mort est le plus simple : il crie, il souffre un peu, peut â ĂȘtre il pleure pendant quelques secondes ou purement et simplement il ouvre ses yeux, terrorisĂ©, et meurt. Sâil nâatteint pas la perfection, la scĂšne est rĂ©pĂ©tĂ©e sans aucune indication. Chacun doit mourir Ă sa façon ! Personne nâest prĂ©parĂ© pour ce rĂŽle, câest Ă©vident ! Le metteur en scĂšne le sait bien, lui-aussi ! Et pourtant, celui qui a reçu le rĂŽle du mort va mourir! S`il ne veut pas mourir, s`il ne peut pas mourir, s`il ne sait pas mourir, il sera aidĂ©. On change le dĂ©cor. Gong ! Une barque, trois marins, du poisson frais dans le filet. Lâun respire encore. Il entend, lui â mĂȘme, lâair sortant agressivement de ses branchies avec des sifflements de moins en moins dĂ©sespĂ©rĂ©s, et, quelque part, Ă lâintĂ©rieur, la chair se gonfle rythmiquement. Sa queue sâagite de plus en plus lentementâŠAsphyxiĂ©, surpris, silencieux il tombe dans lâautre eau⊠On change le dĂ©cor. Gong ! Une femme en robe blanche, un chien, un parapluie, une Ă©charpe aux franges. Gong. Des bohĂ©miennes aux jupes en couleurs vives dansent endiablĂ©es, les pieds nus. Le bruit fait par les piĂšces dâor mises dans leurs nattes ensorcelle les hommes. Ă la table une voyante rompt le Temps en secondes et mĂ©lange les Ă©poques. Gong ! Je danse une derniĂšre danse sur lâĂ©chiquier. Je fais des pirouettes autour des pions. Puis je passe sursautant vers le coin de la tour. Le cavalier se cabre hennissant Ă mon septiĂšme pas. Sifflement sur la diagonale de lâĂ©chiquier. Le fou entre en danse ! Tu as le sceptre et la couronne du roi. Tu veux mâattraper. Je veux que tu mâattrapes ! Le metteur en scĂšne sâamuse. On prĂ©pare une scĂšne parfaite ⊠Gong ! » Sur la plage il y avait moins de gens. Jâai quittĂ© le bureau. Je suis sorti sur la terrasse, ennuyĂ© par le silence. Jâai allumĂ© une cigarette. La derniĂšre. Il nây avait pas assez de mer et de ciel pour ma vue. Et le coucher du soleil brisait le rouge⊠« Je me suis rappelĂ© un moment oĂč, en me cherchant un jour sur ma place de reconnaissance, lâĂ©corce du noyer du verger de mes grands â parents, jâai senti la peur : je ne mây trouvais plus ! Je nâĂ©tais plus lĂ ! JâĂ©tais partie sans un mot, sans un bruit, de lâautel oĂč jâavais dit, dĂšs mon enfance, des priĂšres⊠Mon squelette a Ă©tĂ© bĂąti sur des flaques puantes. Jâentre dans la boue et je ne suis ni mĂȘme seule...Que de prĂ©sences !âŠQue de bruits ! âŠet la senteur du soufre. Ćil mort⊠Tunerga ! » Le 20 mai âŠet la mer avait commencĂ© Ă devenir plus large en moi, jour aprĂšs jour, vague aprĂšs vague⊠Tu gardais le sable humide pour moi. Tu polissais les coquillages pour moi. âŠIl y a tant dâeau sur la Terre et les couleurs blanchissent Ă cause du sel⊠« Jâaurais besoin des yeux aux mains et aux pieds pour te voir dâau-delĂ du Mot, en glissant lentement dans le sommeil des mollusquesâŠJe suis aveugle⊠Je suis sourd⊠» « âŠDieu tombĂ© en disgrĂące dans les bras de ta croyance muette⊠» « Je veux seulement que le centre tombe en lui-mĂȘme, jusquâĂ ce que la derniĂšre lumiĂšre soit Ă©teinte⊠» « As-tu senti jusquâĂ prĂ©sent devenir LumiĂšre ? » «Oui, je l`avais senti et je le sens chaque fois que tu es avec moi⊠» « Tu peux me dĂ©chiffrer ? » Jâai senti goĂ»t de sang dans ma bouche. Je saignais. Oiseau blessĂ©. Je saignais Ă mort prĂšs de ses paumes. Vol boiteux⊠« La LumiĂšre luit ? Celui qui la reçoiveâŠluit ⊠Non, je ne sais pas te dĂ©chiffrer. Je perdrais la vue en te lisant⊠» « Enfant que tu es ! Tu nâas encore appris Ă Ă©crire ton nom dans le sable⊠En toi des alphabĂštes se brisent et tu nâas pas encore appris le pouvoir de la lettre « A » ! » Le 21 mai, le matin Jâavais dĂ©couvert un monde de silence, de paixâŠune paix intĂ©rieure comme celle donnĂ©e par la saveur dâune cigarette ou par lâarĂŽme du cafĂ©, le matin. « Jâaime le cafĂ© noir et chaud. Câest ce cafĂ©-lĂ qui mâaide Ă dĂ©verrouiller la porte de la paix simple de lâĂȘtreâŠune paix qui brĂ»le en douceur⊠» Jâai frappĂ© tout doucement le fauteuil. Je me suis levĂ© avec un long soupir, comme je le faisais dâhabitude, en me frottant les mains. Aucun sentiment ! Je suis allĂ© dans la chambre Ă coucher. Juste devant moi Ă©tait la vieille fenĂȘtre en bois et le tourment de la mer. Jâai ouvert la fenĂȘtre et jâai renoncĂ© Ă toute volontĂ©, vaincu par la fraĂźcheur du matinâŠJe suis rentrĂ© chez moi, en moi. Jây Ă©tais seul. Ă peine maintenant je pouvais commencer, de nouveau, Ă lire. «Devant les mots il faut ĂȘtre seul, tout nu. Vide de prĂ©sences. Vide de toute prĂ©sence. Tiens ! En me regardant comme ça, avec tes lĂšvres entrouvertes, tu remplis mon vide et je ne peux rien Ă©crire. Je finirai par te crucifier dans un poĂšme ou deux et tes sourcils me gronderont, Ă lâombre des points de suspension⊠» Le 22 mai ⊠nuit rempli des chants des oiseauxâŠTunerga ! « Jâavais encore une fois la sensation dâĂ©croulement. Je ne savais ni mĂȘme si je cachais la chute, si quelque chose lâavait dĂ©clanchĂ©e en moi ou si, purement et simplement, tout sâouvrait en moi, contrĂŽlĂ© dâun dehors qui me dĂ©passait⊠Jâessayais de conduire cet Ă©tat de lâĂȘtre vers ce que je pensais ĂȘtre Moi, mais câĂ©tait comme si dans ma poignĂ©e, fermĂ©e par quelquâun dâautre, jâĂ©tais prisonniĂšre dâun Tout qui explosait en moi: un arc-en-ciel douloureux de sensationsâŠJâĂ©tais surprise par la simplicitĂ© de cet acte : couleurs ! Ma pensĂ©e Ă©garĂ©e vibrait de jaune, de bleu, de rouge âŠLa lumiĂšre blanche sâenroulait sur mes os comme un serpent... » « âŠ.FruitsâŠEn automne des pommes pourries parmi les branches des arbres. MalĂ©diction ! » Je nâabritais plus les mots ; tout lâintĂ©rieur de mon ĂȘtre Ă©tait devenir. JâĂ©tais invitĂ©e Ă voir et Ă connaĂźtre. Jâavais eu,tout Ă coup la rĂ©vĂ©lation de ma participation Ă une absence du Moi. JâĂ©tais orchestre. Je jouais Ă tous les instruments. JâĂ©tais la flĂ»te, le tambour, la harpe et le violon. Je nâĂ©tais pas seulement une chanson, mais tout ce qui dĂ©finit une orchestre. Je ne contrĂŽlais, par contre, rien. Je nâaccouchais pas des sons, je les libĂ©rais de moi, en moi⊠« Tu es belle quand tu me regardes comme ça.» « Comment est-ce que je te regarde ? » « Comme çaâŠrond. Ton regard est un cercle qui ensorcelle ma vue. Je tombe Ă son centre sous ta vue. » âŠEt de ses mais froides le lilas blanc mâappelait⊠Le 23mai âŠla premiĂšre PensĂ©e⊠« Entends âtu les chiens aboyer ? Ils annoncent la mort du loup blanc. âŠLa trouvaille des perles commence nuit aprĂšs nuit⊠mer aprĂšs mer⊠Dans les Ă©toiles il y a des perles qui apprennent Ă hurlerâŠCâest quoi le jeu sinon une meute affamĂ©e ? » Le 24 mai Qui es-tu, beautĂ© jamais connue ?...lĂšvre pleine allumĂ©e par le dernier Ă©tĂ© ?...Qui es-tu, vĂ©cu tout nu? Le 25 juin âŠqui a tuĂ© lâalouette ?... «⊠Il y avait une fois des biches dans le vol de lâalouetteâŠElles battaient lâair avec leurs cils longs, mettant le vol plus vertical, plus droit, dans son chemin vers le soleil⊠Un jour lâalouette est morteâŠle loup blanc aussiâŠet la danse des nymphesâŠEt lâĆil est devenu cercleâŠet la main est devenue plume âŠet le sang a commencĂ© Ă marcher⊠» « Et lâos ? Quâest-ce quâil est devenu ? » « Lâos est devenue fontaine avec neuf sources, captĂ©es dans un cercle, dans les profondeurs de lâEtre. » « OĂč est morte lâalouette ?...» Dans la courbe des bras, ses yeux cherchaient le sommeil des mots, pour le flairer, pour lâaboyer, pour le dĂ©chirer⊠Le 28 mai Repos sous le noyer. Parmi ses branches le chant des mĂ©sanges⊠Je me suis rĂ©veillĂ©e fatiguĂ©e. Parmi les rideaux la lumiĂšre du jour avait ouvert lâĆil du passĂ©. Une senteur douce de lilas remplissait mes narines. Les vagues murmuraient au sein de la mer. Il les nourrissaitâŠMon tympan avait retenu le rythme de ses pas. Je comptais par cĆur ses pas sur le plancher. Ils figeaient le temps, quittĂ© un autre Ă©tĂ©, Ă la porte rouillĂ©e dâun immeuble. Et je gardais entĂȘtĂ©e le rĂȘve sous les paupiĂšres, ce rĂȘve qui voulait sâĂ©chapper dans le vol des mouettes⊠« Comment peux-tu dormir jusquâĂ cette heure ? » « Je ne dors pas, je grandis avec le TempsâŠParfois jâaime Ă©plucher le Temps et le cracher dans un verre. » « Et sâil arrive de lâavaler sans lâĂ©plucher ? » « Cela est arrivé⊠» « Et quâest-ce qui sâest passĂ© ? » « Des bois moutonneux frĂ©missent en moi quand je respire⊠» « Toi, tu es si ... » Jâaimais beaucoup lâentendre dire « toi » avec chaleur. Le souvenir de lâabĂźme de ce « toi » matinal est si douloureux maintenantâŠAvec lui jâavais appris que la solitude nâest que le fruit de lâimagination. Il savait faire fontaine des mots et boire lâeau de lâĂąme blottie quelque part entre les os. « Tu sais, parfois je me sens loin, trĂšs loin de ce que je suis, de ce que je sais ĂȘtre ou de ce que je suppose ĂȘtre et, de peur que quelquâun fasse une confusion entre les numĂ©ros attachĂ©s aux orteils des cadavres, je descends de plus en plus bas en moi pour me retrouver avant de partir... Et comme un enfant Ă©tourdi, Celui-qui-est reste cachĂ© derriĂšre quelque veine et je dois lâappeler avec des mots doux pour le faire sortir. Une fois, vers lâaube dâun jour dâhiver, jâai senti que Celui-qui-est n`Ă©tait plus avec Moi. Je lâavais appelĂ© longtemps. JâĂ©tais triste, fatiguĂ©e et déçue. Jâavais pensĂ© quâil mâavait laissĂ© seule et, Ă ce moment âlĂ , le silence mâa fait mal. Je sentais ĂȘtre condamnĂ©e Ă vivre seulement la vie dâune crĂ©ature sociale, rompue de tout ce qui donne lâintimitĂ©, la beautĂ© de lâincarnation de mon nom sur terre. AprĂšs quelque temps je lâavais vu. Celui-qui-est Ă©tait crucifiĂ©e, mais il Ă©tait encore là ⊠» J`ai vu les oranges et, avec difficultĂ©, j`ai tendu la main vers le plateau. Lâorange m`a Ă©chappĂ©. Sous les fruits, sur le plateau, il y avait un message de lui : « âŠDu milieu des mers, au vol brisĂ©, parmi les vagues, tu cries ton nom, LazaraâŠ. » « J`ai eu les pieds froids. Je les ai pris entre les mains et, pensive, je suis restĂ©e comme ça jusquâĂ ce quâun frisson court me rĂ©veille : « Cancer.» Le mot mâavait paralysĂ©e. Les meubles, les portes, les hommes, les femmes, la lumiĂšre, tout avait disparu dâun coup. « Vous ne devez pas vous laisser vaincue par la maladie ! » La voix Ă©tait si loinâŠJe regardais profondĂ©ment deux yeux sur un visage que je ne connaissais pas ! Je sentais tout avaler. Lâhomme qui me parlait, habillĂ© en blanc, avait commencĂ© Ă couler, morceau aprĂšs morceau parmi mes lĂšvres. « On peut encore lutter, essayer encore âŠune opĂ©rationâŠchimiothĂ©rapie ⊠» Pourquoi cet homme ne sent rien ? Je lâavais avalĂ© tout entier ! Il n`est qu`une bouche qui parle ! « On ne peut rien garantir ! »âŠEt si tout lâunivers est rĂ©duit Ă une simple bouche ? âŠEt si la lune nâest quâune dent dans une nuit de chair ? âŠQuel silence ! âŠEt la dent qui coule si beau sur le palais de cette bouche immense ! « Vous ĂȘtes bien ? Madame ! Madame ! De lâeau ! Vite !»âŠMaintenant je voyais sâouvrir dans cette bouche â lĂ un trou noir, profond. Comment un trou si large a-t-il trouvĂ© un peu de place en moi? Est-ce que les ĂȘtres humains sont si spacieux Ă lâintĂ©rieur ? Et si jâai avalĂ© cet hommeâŠmoi, oĂč est-ce que je suis ?...Ou peut â ĂȘtre ce trou tombe Ă son tour dans un autre vide plus vaste âŠplus chaud ...meilleurâŠplus simpleâŠFroid ! Peut â ĂȘtre il serait bon que je tremble un peu. Si je claque des dents peut âĂȘtre je vais hacher tout cet abĂźme, toute cette nuit ! Un claquement sourd. « Mademoiselle ! Lazara ! »âŠAh ! Les ventres de la nuit ! Lâune mĂąche lâautre ! Toujours ! « Lazara ! Viens dehors !...Dehors ! âŠViens ici, au-delĂ de tout ! Lazara ! Viens ! » Avec son billet d`adieux, prĂšs de lâombre des seins, j`ai senti le matin. LibĂ©rĂ©e, j`ai tirĂ© la verrouille de mon attente et toute la mer est entrĂ©e dans ma chambre. J`ai ouvert la porte. Il nâĂ©tait plus lĂ . Personne nâĂ©tait lĂ . Il me laissait choisir. AprĂšs tant de jours et de nuits dâattente, je sais d`oĂč je viens⊠oĂč je vais partir: « Dehors ! Au â delĂ de tout⊠! » J`aimais tant la senteur des algues, du sel, de la mer. Tout est une fougue circulaire vers les vaguesâŠL`agenda Ă©tait restĂ© vert, au milieu du lit. Lâencre, sur la derniĂšre page, regardait de travers⊠Le 29 mai « As-tu jamais essayĂ© dâarrĂȘter une vague juste avant de mourir sur la plage ? As-tu jamais essayĂ© de lui arrĂȘter la mort? » Jâai agenouillĂ© sur la plage, au bord de la mer, et jâai essayĂ© dâarrĂȘter une vague avec mes bras avides de victoire. La vague mâa couvert, comme un voile fin et victorieux, et sâest Ă©tendue sur la plage, derriĂšre moi. Pour arrĂȘter la suivante, je me suis couchĂ© dans lâeau et jâai essayĂ© de la prendre et la renverser avec force, pour quâelle ne touche pas le sable. Capricieuse et Ă©tourdie elle a chatouillĂ© mes plantes et, comme un voile fin et victorieux, elle sâest Ă©tendue sur la plage, derriĂšre moi. Je me suis dit de lâaccueillir dans mes bras, avec chaleur, avec amour, et puis, aprĂšs lâavoir apprivoisĂ©e, la dĂ©poser doucement sur la plage. La vague a hissĂ© folĂątre son front vers mes lĂšvres, les a touchĂ©, impertinente, et comme un voile fin et victorieux, sâest Ă©tendue sur la plage, derriĂšre moi. « La mort de chaque vague est une renaissance. Pendant que les lĂšvres dâune dâelle touche la plage et meurt, une autre prend vie au large⊠On ne possĂšde rien: ni la terre, ni la chair, ni le cielâŠTout en nous est cible pour les archers du Temps⊠Tu vas sentir un jour une brĂ»lure dans la paume de ta main et, aprĂšs ça, tu me verras, dans tes souvenirs, agenouillĂ© prĂšs dâun Ăątre aux charbons brĂ»lants, plantant une semence dans ta chair avec mes lĂšvres⊠» « Et toi, oĂč seras â tu ? » « Je dormirai Ă lâombre du fruit absurde, peut â ĂȘtre absent⊠qui va grandir de ta chair et de la trace de mes genoux sur terre⊠» Le corps maigri par la maladie se dirigeait, flĂšche blanche, vers lâĆil de la LumiĂšre⊠Il glissait lentement de plus en plus loin dans les eaux bleues, froides, et silencieusesâŠLa mer avait grimpĂ©, en tapinois, vers lâĆil libĂ©rĂ© de Lazara, jusquâau creux des paupiĂšres, en cherchant la source de ses larmesâŠUne mer âŠet pleurait⊠Le 30 mai « Ăchec ! Le fou courait vers le coin du roi. LâĂ©chiquier Ă©tait en dĂ©rive. Plus tranquille, la tour avait fermĂ© le cadran. La reine pleurait, capturĂ©e Ă vie ! Ăchec et mat! » Silence ! Une mer de silenceâŠet le ciel si bleu le matin ! Le 31 mai « Reste ouvert, mon Ćil ! Ne te ferme pas avant lâaube ! Je sens la bougie riant au coin de la table. Dans la paume de ma main des anges sont venus dormir⊠Une ombre a accompli sa marcheâŠUne marche a accompli son ombreâŠ. Tes pas passent...Sur leur traces mes larmes noient toutes mes priĂšres ⊠» Jâavais Ă peine fini lâhistoire de Lazara et tout en moi lâappelait, tout en moi chuchotait son nom, tout en moi comprenaitâŠavait peurâŠdĂ©sirait la rencontrer, changer ce qui pouvait ĂȘtre changĂ©, accepter un destin coupĂ© trop vite par le hasard âŠet sans espoir. Bruit. Voix. Alarme. Brouhaha. Ambulances. Hautparleurs. Je me vois courir. Je me sens curieux. Je me sens las de tout connaĂźtre. Je me sens vaincu. Je ne me sens plus. Jâarrive sur la plage. Des gens agitĂ©s. Trop de bruit pour un jour de deuil. Le premier juin 1997. Je devine : le jour de mes noces⊠le jour de ses funĂ©railles. âŠJâai refusĂ© trop de fois son nom. Je le refuse encore⊠« NoyĂ©e. Elle a nagĂ© trop loin. La pauvre. Elle Ă©tait jeune. Trop mince. Elle est restĂ©e quelque temps dans lâeau. Nâapprochez pas ! Câest dur Ă voir ; Sâil vous plaĂźt ! Nâapprochez pas ! » Trop de bruit. Trop de monde, Lazara !... Je reste agenouillĂ© devant la mer, Ă quelques mĂštres de son corps. Deux existences parallĂšles : moi vivant, elle morte âŠet entre nous toute une Ă©ternitĂ©, un agenda vert et lui⊠« Quelques heures pour tâaimer. Une vie pour vivre sans toi. Une Ă©ternitĂ© pour te chercher, Lazara⊠»
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