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LE JARDIN
prose [ ]

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by [Reumond ]

2022-10-19  | [This text should be read in francais]    | 







Introduction

Comme des Monet au jardin du Luxembourg, ou comme des jardins tels que des Monet, il existe des paysages magnifiques comme des peintures impressionnistes ; des jardins qui vous attendent avec patience et amour pour vous surprendre et vous couper le souffle, tels ces automnes qui se déploient avec leur grande promesse de vous en faire voir de toutes les couleurs.
Je me souviens en particulier de cet été indien au Québec, en l'année 1986, du côté de Chicoutimi, c’est-à-dire loin de chez moi et de mon plat pays.

J’étais effectivement là
Au bord du Fjord du Saguenay
Fasciné jusqu’à l’os
Par tant d’or et d’espaces
J’étais là
matériellement parlant
Et en même temps ailleurs
Comme transporté dans un état second
Entre le Ciel et la Terre… (1)

Et je vous l’assure, sans drogue aucune, sinon l’unique essence de mes sens et la seule substance de tout mon être, corps et âme traversés par les vagues colorées d'un grand sentiment océanique.

Sans papier et sans identité
Comme un homme invisible,
j’étais là
Parce que face au sublime
On n’existe plus
Parce que face à la Vraie Beauté
On disparaît complètement …

Comme si un feu sacré avait pris complètement possession de vous, en vous ayant consumé en profondeur de ses propres flammes; comme si vous étiez là face à des arbres devenus de véritables « buissons-ardents », face à des feuillus pleins des plus subtiles teintes et mélanges que la nature puisse imaginer et réaliser.
Alors qu’en Belgique, l’été de la Saint-Martin ne fut pas des meilleurs, en cette subtile communion alchimique entre l'été indien et la transmutation des feuillus, j’étais là,

J’étais là
Comme absent à tant de présence
Mais comme conscient de tant de Présence
Au cœur des Ailleurs
Où avec ostentation
Comme devant un gigantesque ostensoir
J'étais malgré moi
Le premier communiant d’un Ciel lumineux
Au-dessus d'un paysage enflammé de couleurs …

Sur les rivages du fjord, de petits groupes d'enfants profitaient de cette période de redoux pour se baigner avant le retour des grands froids ; alors que plus loin, des canots colorés sillonnaient les eaux transformées en grand miroir déformant pour mille feuillus multicolores.


2O22

Aujourd’hui, quarante ans plus tard, avec la même avidité, mes sens consomment de la dorure en tranche, pourquoi ne pas profiter du pain béni des ors de l’automne, avec ses galons chamarrés, ses fils d’or bruns, ses franges sépia ? La nature s’étale sur son lit de feuilles soi-disant mortes, mais mortes de quoi, sinon de vivre jusqu’au bout ce grand nuancier magique !

Devant mon écritoire, face à l’ostensoir des saisons, là où les ormes ne sont pas plus dorés que les charmes, l’or de mes os et l’os de mes ors se mélangent avec les mots puisque la nature se paie cash avec la monnaie des arbres, j’en profite moi-même, car aucun or en barre n’est plus léger que mes feuilles vierges, et l’or même des feuillages tout autour de moi. Mon scriptorium lui-même se couvre de feuilles vives ; au brunissoir de l’inspiration, les poètes ne sont-ils pas des orpailleurs et des doreurs de mots, ne se jouent-ils pas des alliages comme la nature, d’encres, de frondaisons de ciel et de lumière ?

En cet Eldorado, sous cette pluie d’or rouge, au cœur du grand œuvre poinçonné des saisons, devant tant de mystère et de splendeur, Midas lui-même n’est pas plus riche que nous.
Alors que la terre épuisée se repose sous son pactole de feuilles amassées ; il suffit de le penser, de l’imaginer ou de le croire, même sans ouvrir les yeux, pour ne plus y voir que le feu ardent de la Beauté ; une Beauté qui ne cesse de s’incarner pour être portée au grand jour, celle d’un Jardin qui s’étend jusqu’aux étoiles, d’une nature qui ne cesse de se métamorphoser pour nous inviter à faire de même.


LE JARDIN

Alors que je marche, que je voyage, que je plane sur un tapis de feuilles ressuscitées par la lumière naturelle, cela devrait pourtant être clair comme l’eau polluée d’une fontaine et l’herbe brûlée des prairies, nous ne possédons pas Le Jardin

C’est Le Jardin seul qui nous possède
C’est Le Jardin qui seul nous possède !

Comme dans un concert d’automne, au jardin, c’est l’or des Origines qui s’exprime, et qui se joue sur la harpe des couleurs en se rappelant ainsi à notre pauvre mémoire.

Au jardin,
C’est un hymne à la Nature
C’est tout l’or de l’imm OR talité
Qui nous dit combien nous sommes éphémères
Et l’or des OR izons sans fin
Qui tente de nous interpeller
C’est un Don de surabondance naturelle
Tout comme un présent gratuit
Une Offrande gracieuse de la Nature
En pleine métamorphose
Sa lumière est parfaite
Fixée dans l’or
comme la paix se fige dans le silence


Le Jardin, Il a toujours été, et Il est encore comme une gigantesque Icône recouverte de feuilles d’or, mais qu’en sera-t-il demain ?
Au royaume des ors, la lumière ne s’éteint jamais !
Parce que le Temps et l’Espace sont sacrés, chaque saison est un espace que se fait « numineux », comme une somptueuse mise à part.

Comme pour nous rappeler un anniversaire, chaque année, l’or se fait partout présent comme le présent d’une invisible Présence.

L’automne est là, dans une exubérance de couleurs plurielles ; plein de magie et de mystère, il est comme le signe de la présence oubliée d’un milieu divin toujours présent.

C’est un Jardin où l’or rayonne pour répandre la paix, la joie et l’harmonie, comme durant une subtile alchimie qui transmute le monde, donne sa lumière sans éblouir et la partage entre les jaunes et les rouges qui sont les couleurs privilégiées de l'état pur de nature.

Sous un ciel azuré qui sait s’adapter, les arbres se couvrent de couleurs plus ou moins vives et symboliques ; les prairies ruissellent de jaunes divers et des ors les plus désintéressés ; comme des teintes qui se fondent en tout pour se faire le pur reflet de la gratuité des éclats de lumière.

Au cœur de ce Jardin défait et piétiné, le grand péché des Adam et des Ève que nous sommes tous en somme, fut d’avoir pris totalement possession de ces Lieux sacrés ; de les avoir blessés, d’avoir dépouillé Le Jardin de son voile magique, chaste et mystérieux ; de l’avoir piétiné et dévasté à coups d’avoir et de pouvoir, c’est-à-dire à coups de mots pervers, d’attentes démesurées, de griffes acerbes et de poings serrés.

Après avoir tout arraché, tout coupé ou extorqué comme des rapaces aveugles ce qui ne nous appartenait pas, nous nous sommes accaparé jusqu’à la moelle de la Terre. Nous l’avons pillé jusqu’au bout, nourri de nos abus et arrosé abondamment de sang et de non-sens. Nous avons tout saccagé d’est en ouest, et tout mis à sac et à sec du nord au sud ; le dénaturant, le désacralisant, lui volant son Être le plus précieux pour en prendre totalement possession, tels des démons mal lunés et mal léchés cherchant à s’approprier jusqu’à l’âme et le cœur des êtres et des choses.

Sans maître et sans dieu, avec rage, nous refusons obstinément d’appartenir à qui que ce soit, et pourtant, au comble du paradoxe et de nos mille contradictions, nous sommes d’une aube à l’autre les esclaves de nos rêves et de nos désirs, les drogués au bord de l’overdose de toutes « nos » croyances erronées. Nous sommes les prisonniers de « notre » propre « caverne » mentale, celle qui est la fosse d’aisances de « nos » pensées tordues, le cabinet de nos désirs intempestifs et le grand magasin de « nos » attentes de plus en plus possessives.

Accoutumés à tant de possessions et de fantasmes possessifs, nous en sommes possédés nous-mêmes, comme enfermés derrière les barreaux de nouveaux algorithmes et de codes-barres, soumis à de nouvelles soldes, à de nouveaux suppôts, à de nouvelles idoles, à de nouveaux tentateurs et à la toile de leurs tentacules point net sur de nouveaux sabbats point com. Car aujourd’hui les diables manipulent et s’incarnent sur Internet. Ils savent se faire invisibles, virtuels et propagandistes ; ils se font publicistes et influenceurs pour notre plus grand bien, et bien sûr, pour notre évolution personnelle et le bonheur de tous.

Comme nous croyons, pensons et imaginons posséder la connaissance et la reconnaissance de nos pairs, de même, nous croyons, pensons et imaginons posséder la vérité et la réalité, alors que seuls le Temps, la Vie et le Réel nous possèdent !
Cela devrait être clair comme l’eau polluée d’une fontaine et l’herbe brûlée de nos prairies, nous ne possédons pas Le Jardin, c’est Le Jardin seul qui nous possède jusqu’à l’os !

Nous consommons le Jardin goulument, avec voracité et cupidité … Quelle forme de sobriété, de détachement ou de sagesse nous libérera de nos peurs de manquer et de nos penchants à posséder toujours davantage ?


LA CHUTE

La fameuse chute, c’est cela, et « ça » uniquement ! Et rien d’autre que ce foutu « ça » de ceux qui connaissent la psychologie humaine ou possède quelque pouvoir, savoir ou avoir.

Alors que la croissance humaine, l’ascension réelle, le passage de l’homo sapiens à l’Homme pleinement Homme ne peut être que « le détachement absolu » qui est l’antigravitation par excellence, nous continuons malheureusement à chuter.

La Chute, c’est « ça », ce sont les faits et gestes d’appropriation, et les méfaits de nous approprier Le Jardin égoïstement, pour nous-mêmes ; car les « Je », les « Nous » et les « On » sont haïssables quand ils s’approprient les individus et les choses.

Les « Je », les « Nous » et les « On » sont pareillement méprisables quand ils renforcent cette emprise et resserrent les mors de la possession, avec comme moteur un désir, une haine ou un amour si possessif qu’ils continuent encore et toujours à nous détruire et à saccager ce qui reste de vierge au Jardin.

Même l’affabilité et la bienveillance ne nous appartiennent pas, c’est à elles seules de nous posséder corps et âme, comme nous le sommes actuellement par mille convoitises et mille lâchetés, par mille tromperies, mille mensonges que nous nous faisons à nous-mêmes, et mille autres manigances pour survivre à la peur de manquer.

Cette possession sans borne s’oppose en fait à « la Vraie Vie » !

Alors que l’eau seule possède la vie et une mémoire sans faille, en fait, nous ne possédons ni le temps, ni la vie et pas même la mort ; nous ne possédons absolument rien des années à vivre et des années à survivre. 70 ans pour 70% d’eau et si peu de conscience, c’est là, la somme de nos existences ici-bas ! En réalité, qu’est-ce que 70 années d’espérance de vie, face à l’Éternité du Cosmos ? C’est ainsi que tous les deuils sont pour nous tous bien difficiles, puisque nous ne supportons pas de voir les êtres et les choses partir !

Pour qui nous prenons-nous ! Pauvres nouilles que nous sommes, si pauvre de nous !

Chez tous les êtres exclusifs, cette Chute sans fin, c’est de croire que ce que nous sommes et ce que nous avons sont notre possession, sous notre contrôle, comme une sorte de maîtrise de nos vies qui nous donne le sentiment d’être et d’avoir un certain pouvoir sur les êtres et les choses.

Parce qu’en réalité comme en définitive, depuis les origines, nous ne possédons rien, c’est Le Jardin, ce « milieu » divin, qui lui seul nous possède. C’est pourquoi nombre d’auteurs comme Spinoza ont fait du Jardin un dieu à respecter comme un parent bien-aimé.
Même nos enfants et petits-enfants ne sont pas nos enfants…

« Ils sont les fils et les filles de la Vie » comme l’écrivait Khalil Gibran.
Sans exception, toutes les catégories de « pronoms personnels » sont à exclure, elles sont comme des profanations de la Nature, une sorte d’appropriation d’un Réel qui est bien au-delà de nos pauvres réalités, un Réel qui pourtant n’appartient à personne.

Le fait de croire que nous possédons quoi que ce soit est une illusion tenace qui ruine le monde. Alors que le Don total, l’Amour inconditionnel et l’Émerveillement sont à travers les épreuves la preuve même que nous ne possédons rien, mais que nous sommes nous-mêmes possédés de part et d’autre dans tout l’Univers.



Conclusion

En résumé, en dehors de tous « nos » soi-disant « droits », qu’ils soient sociaux ou culturels, nous avons tous, comme simple créature, un seul « Devoir », celui de la « dépossession » et du « partage » intégral.

Là où pauvre de moi, je ne vois que de l’immoralité, de la débauche de bien, de l’avidité et du gaspillage, dites-moi, où est « la vertu » de posséder ?

Nos propriétés sont des maisons d’arrêt, des prisons soumises à conditions, nos copropriétés sont des chaînes captives ; copyright et autres jouissances mondaines ne sont en somme que la somme de nos esprits tordus à la base par des esprits captatifs, comme habités par des incubes et des succubes qui nous abusent nuit et jour ; ceux mêmes qui infestent « notre logique» moralement correcte, détournent notre bon sens et infectent « notre morale » bien-pensante.


Les arbres racontent même qu’il y aurait sur Terre des sans-jardins comme des sans-papiers ou des sans-logis. En vertu de quoi et de quel droit possédons-nous de la sorte alors que d’autres n’ont rien à eux ? Comme si nous avions de nature un droit à l’excès !

Cela devrait être clair comme l’eau polluée des océans et des grands espaces déforestés, nous ne possédons pas Le Jardin, mais c’est bien Le Jardin qui nous possède jusqu’à l’os !

Alors qu’une marée de boue déborde et couvre le monde, tout comme la somme immonde des alluvions de nos déprédations et de nos acquisitions, des expressions comme « les miens », « les siens », « les tiens » « les nôtres » ne sont que des fantasmes de possession, des avoirs et des pouvoirs fantômes comme les spectres froids de « nos » malpropres captations.
Foulé du pied, Le Jardin est toujours là, mais qu’en sera-t-il demain ?

C’est là notre réalité environnementale, comme une séparation entre l’environnement et notre mental. Entre profusion et confusion, Le Jardin souffre d’un trop-plein, d’une accumulation de besoins et de désirs qui s’opposent, comme une fureur mondiale de consommer pour survivre au manque d’Être.
Je vous pose ici la question, faut-il encore « faire la noce » alors que le divorce avec le Jardin est consommé ?
Est-il encore temps de nous ressaisir, de faire marche arrière, de réparer les dommages de nos cupidités ?

Là où la surabondance et l’extrême pauvreté se côtoient au quotidien, faut-il encore posséder plus ?

Partout autour de nous, c’est le radeau des médusés, une arche de Noé qui navigue sur un continent de déchets ; c’est là la somme de nos incontinences ou de tous nos excès excrémentiels à la surface de l’eau des océans.

C’est la somme gluante de toutes nos illusions, la vomissure de tous nos excès et de tous nos excédents. C’est une débauche d’objets inutiles, du luxe mêlé de luxure commerciale, dans une orgie d’écrans et d’images, dans un divorce la nature et la culture, l’Être et le paraître, comme entre le virtuel et le Réel grand R, car depuis toujours, dans un duel sans fin, les apparences s’opposent à l’Essentiel.

En voulant éblouir le monde, nous le plongeons davantage et en quelque sorte dans les ténèbres.

Tous nos certificats de propriété, nos brevets, diplômes et autres attestations de nos positions sociales ou culturelles, ne sont en fait que des humeurs malsaines, comme le produit d’un mental aliéné qui est enfermé dans de folles méninges comme dans une boîte de pandore.

Scandaleusement riche, scandaleusement puissant, scandaleusement savant, scandaleusement … Au royaume de la concupiscence, c’est du pareil au même, c’est du viol des sens et du vol de l’Essence même des choses, et c’est un viol honteux et un vol des usufruits blets de cet Arbre qui poussait naturellement comme un beau et gigantesque chêne pointu au milieu du Jardin.

Nous qui sommes des êtres captatifs jusqu’au bout et par nature, n’est-il pas temps de devenir des êtres davantage « oblatifs », et pourquoi pas jusqu’au-boutisme ?

Parce qu’au-delà des miroirs du monde, au-delà de nos écrans, au-delà de nos pensées limitantes comme au-delà de nos « adjectifs possessifs » et de nos « pronoms personnels », il existe des Vocabulaires sans frontière et des Grammaires féeriques qui sont des poèmes cosmiques aussi libres que les vents et aussi inimaginables que des horizons sans limites.


Plein de questions et d’appréhension, j’arpente de long en large les couloirs du musée de La Boverie de Liège, et là, comme foudroyé par tant de beauté mon corps tout entier ne demande qu'à s’asseoir.

Contemplatif, mais inquiet quand même, j’observe attentivement Le vieux Jardinier, du peintre belge Emile Claus, une grandiose et superbe peinture fixée pour des siècles par la main d’un grand luminisme.

Dans un concert de gris et de verts, le Vieux jardinier est là, baigné de soleil, comme une grande partie du jardin. Cependant, dans les frondaisons au fond du tableau, je perçois, de manière frontale, un duel sans merci entre l’ombre et la lumière ; et j’y discerne nos propres ombres, comme les seules et uniques choses que nous possédons peut-être réellement, et tant qu’elles nous possèdent.

LIEGE, OCTOBRE 2022.


(1) Extrait du poème Le jardin de Sagueney (1986)

http://francais.agonia.net/index.php/poetry/14165259/LE_JARDIN_DE_SAGUENAY_

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