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L\'ombre
prose [ ]
"La cinquième saison"

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by [Madeleine_Davidsohn ]

2006-04-03  | [This text should be read in francais]    |  Submited by Nicole Pottier



Depuis quelques jours, il avait une forte fièvre. Son regard embrumé distinguait difficilement les visages. Des blouses blanches entraient ou sortaient par la porte du 28, s’arrêtaient devant le lit du côté de la fenêtre, ou continuaient leur marche plus loin. Des ombres. Son monde était peuplé d’ombres. Quand elles l’effleuraient, c’était comme un battement d’ailes, quand elles le palpaient plus fort, cela provoquait en lui un gémissement douloureux… Le temps avait perdu toutes dimensions. Les minutes s’écoulaient en heures, les heures en jours – répit indéfini. Qu’y avait-il avant ? La question se diluait lentement, lentement, dans son cerveau fatigué. La réponse avait perdu son importance.
Soudain, la fièvre baissa, et la brume disparut brusquement de ses yeux. Il se sentait bien. Tout d’abord, il se redressa, ensuite, il descendit du lit précautionneusement, posant un pied à côté de l’autre, comme s’il apprenait tout juste à marcher. Dans le large corridor, qui se séparait en couloirs collatéraux à droite et à gauche, il se mit en route, sans trop réfléchir, droit devant lui, conduit par une force invisible et invincible. Autour de lui, le silence. Aucune présence, aucun mouvement. Seulement lui et l’ombre. Longue, gigantesque, elle recouvrait les murs presque jusqu’au plafond. Il se surprit à lui parler comme à un être vivant.
Des histoires oubliées, d’un passé éloigné, remontaient à la surface. Elles plongeaient comme des bulles d’air en expir, du fond de la mer, libérées par des poumons prêts à exploser. Toutes étaient vivantes et claires, et plus il se distanciait d’elles, plus elles devenaient troubles et incompréhensibles lorsqu’il revenait dans le temps, pas plus tard qu’au jour d’hier. Compagne muette, l’ombre l’accompagnait dans cette étrange promenade. Les corridors continuaient l’un après l’autre, se croisaient de temps en temps, et il marchait sans se dérouter, attiré comme par un aimant toujours plus avant..
Tout d’un coup, les murs se rétrécirent, l’ombre s’allongea tellement qu’il eut l’impression qu’elle allait le toucher. Alors, il se mit à crier :
- Va t-en, va t-en d’ici, j’ai peur. Je ne veux plus te voir. Va t-en !
L’ombre se détacha du mur comme si elle s’était matérialisée. Elle se pencha sur lui, le recouvrant telle une noire pèlerine et se fondit dans la semi obscurité du corridor.
- Ah ! soupira t-il soulagé, en promenant son regard sur le mur.
La tache obscure, sa grande ombre, avait disparu.
Il marchait vite maintenant, bien plus vite, presque joyeux. Brusquement dans son cerveau, prit place une pensée effrayante.
- L’ombre ! où est l’ombre ? Chaque être, chaque chose en possède une. Seul ce qui n’existe pas ne provoque pas d’ombre. Mon ombre ! Je veux que mon ombre revienne !
Mais il était trop tard.


(Traduction et version française : Clava Ghirca, Nicole Pottier.)

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