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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2016-10-29 | [This text should be read in francais] |
Les habitants du quatrième et du sixième étage s'arrêtent brutalement dans leur quotidien, comme ébranlés par un séisme, surpris par les cris sourds de leur atypique voisine du cinquième. La Maya ! C'est ainsi qu'on la surnomme sardoniquement dans le quartier de Belle-croix. Cette étrange bonne femme ne parle à personne et lance quelque fois des cailloux sur qui la provoque un peu trop. Eté comme hiver elle chausse ses après-skis et promène son caddie comme un chien fidèle, charriée, huée par les gamins du quartier qui expérimente leurs haines sur elle. Mais les railleries glissent sur elle comme l'écho se perd dans le silence éternel des steppes. Aujourd'hui La Maya a cassé sa tirelire pour s'offrir la lune, ce soir La Maya hululera aux étoiles. Après des années de privation et d'économie sur sa faible pension, la livraison du matin lui offre son ultime récompense: une nouvelle télé, un home ciné et tout le matériel adapté dont elle rêve !
La Maya s'évertue donc à brancher tout ça toute l'après midi, hurlant sa colère lorsqu'elle se perd dans les méandres des branchements, au grand dam de ses voisins qui rouspètent par la fenêtre avec vigueur. Mais les clameurs glissent sur elle comme l'écho se perd dans le silence éternel des steppes. Finalement lorsqu'elle y parvient, elle respire la fierté de l'accomplissement en fumant une cigarette à sa fenêtre sous la nuit qui tombe. La Maya n'a pas fait de grande école mais elle n'est pas plus bête pour autant se conforte-t-elle. Elle s'installe dans la douceur du velours côtelé de son canapé et allume en frémissant son nouveau joujou. Sur l'écran s'annonce un documentaire sur la vie des oiseaux. Elle pose ses pieds sur la table en verre de son salon et ressent les vibrations du home cinéma sous le sifflement des merles. Elle s'étonne et monte le son. Ses pieds tremblent alors sous le graillement des corbeaux, elle sourie. Du caquètement des poules au braillement des paons tout y passe. Elle augmente le son à chaque fois, s'amusant des chatouillis que lui procurent les oscillations de la vitre de la table. Sur le guéridon, le vase de maman se met à bouger tout seul. Evidemment ce n'est pas un esprit frappeur, c'est le voisin du dessous qui tape au plafond comme un forcené avec son balai. Les gêneurs glissent sur elle comme l'écho se perd dans le silence éternel des steppes. La Maya monte le son! Soudain elle change de programme maugréant dans sa moustache que des poules, des paons, des corbeaux et des merles moqueurs il y en avait déjà bien assez ! Sur la chaine suivante, elle tombe sur Madame Butterfly, le film de Mitterrand. Non pas que La Maya regarde habituellement de l'opéra, mais le film est sous-titré et pour une fois qu'elle comprend quelque chose à un opéra cela attise sa curiosité. Elle se laisse porter par la tragédie de l'histoire, allongeant ses jambes sur la table, grisées par le frissonnement du verre sous la douceur des chants. Chaque air, chaque modulation l'emmène vers des pensées heureuses. Elle augmente encore le volume. A présent elle ressent la musique jusqu'au plus profond de son être, elle frémit, elle tremble d'émotion, et les fenêtres du salon avec elle. Le vase du guéridon n'en finit pas quant à lui de danser. La Maya rie à gorge déployée ! Le film terminé, elle zappe et tombe sur un concert de Céline Dion. Elle rapproche un peu les haut-parleurs et se couche nue sur la vitre froide de la table du salon et se laisse porter par l'émotion à l'unisson des vibrations. Elle chante à tue-tête, réinventant les paroles, le son couvre sa voix qu'elle n'entend plus, elle crie au monde son existence. Le guéridon n'en finit plus de sauter comme un unijambiste endiablé, le lustre de cristal de maman tangue, les voisins son furax. Mais La Maya n'est plus vraiment là, La Maya est aux anges. Les douleurs du passé glissent sur elle comme l'écho se perd dans le silence éternel des steppes. Une lumière dans le couloir de l'entrée s'allume et la sort de sa torpeur. Quelqu'un sonne à sa porte semble-t-il. Elle enfile rapidement un peignoir et, sans prendre le soin de baisser le volume, s'en va ouvrir. Tout le monde est là! Du plombier dépressif du palier voisin au facho du premier en passant par les dealers du rez-de-chaussée jusqu'à la boulangère nympho du dernier étage, tout l'immeuble a enfin réussi à converger vers un but commun : lyncher cette folle de Maya! Ils crient, ils l'insultent, la traitent de tous les noms, la menace du poing. Dans le vacarme ambiant ne traverse que les gestes de la foule en colère. Comme dans une scène de pantomime, le plombier lui montre sa montre d'un air dépité, le facho tire le collier de son pitbull pour lui faire montrer des crocs moins baveux que les siens, les dealers lèvent leurs chemises laissant entrevoir quelques armes afin de singer les films de gangsters, la boulangère remue ses lèvres gonflées de collagène pour vociférer des insultes châtiées tout en prenant soin d'observer la réaction qu'elle peut avoir sur son entourage. Dans le brouhaha des plaintes et des reproches, des menaces et des cris, mêlés aux tintamarres du home cinéma, il lui semble lire sur les lèvres du travesti du huitième "Ecoutez ma p'tite mère, la surdité n'excuse pas tout, vous n'êtes pas seule ici...". Sans mot dire, La Maya, de son vrai prénom Mathilde, leur claque la porte au nez. Les sons glissent sur elle comme l'écho se perd dans le silence éternel des steppes. |
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