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CE PETIT GRAIN DE FOLIE QUI PORTE L’UNIVERS
prose [ ]
"Je me demande si je ne suis pas en train de jouer avec les mots. Et si les mots étaient faits pour ça ? » Dans « Les Bâtisseurs d'empire, ou Le Schmürz » (Théâtre de Boris Vian).

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by [Reumond ]

2009-10-11  | [This text should be read in francais]    | 





Un petit grain, semé là par les vents ou abandonné par quelque marchand de sable généreux et distrait. Un petit grain à l’échancrure de l’œil, au lieu rosâtre de la chair d’une caroncule lacrymale, la mienne, humide des larmes distillées par l’alambic des acharnements.

Acharnement d’écrire, écrire sans cesse à la fleur des paupières, à la commissure des visions, là où elles se rejoignent pour cligner de haut en bas à la lumière, à la fatigue ou aux images trop fortes, et se fermer enfin pour la nuit dans l’ultime baiser du sommeil.

Un petit grain de sable venu d’ailleurs pour m’apporter son ultime message :

« Les plus petits déserts gardent les mots au chaud du sable blanc »

Ce petit grain de sable qui porte l’Univers
Au cœur des déserts, de tous ces lieux inhospitaliers, inhabités ou peu fréquentés par les académiciens, vivent pleins de fantômes et d’esprits qui aiment la poésie et cette forme de solitude qui ne pèse que sur les balances du vide, ainsi, ce petit grain, semé là par les vents.

Aux niches des limons, des trous abandonnés au néant et aux spectres pour se vêtir de sable blanc, le désert est un espace ou l’esprit des mots cohabite avec les rêves qui se revêtent du plus petit grain de sable pour porter l’Univers à ses confins.

Les mots ont une vie propre et réelle, ils peuvent bien sûr sembler s’éteindre par manque d’emploi, s’user comme des outils cruellement abusés, être écartelés aux quatre coins des marges , telles des femmes répudiées, abandonnées au bord des pistes ; tels des enfants ou des personnages romanesques roués de coups par des écrivains peu scrupuleux, des mots laissés pour contes aux pieds des vers, lâchés cruellement dans leur sang d’encre, après quelque mauvais traitements comme mésusés à tire la rime mots jusqu’aux points de rupture des cordes sensibles du langage.

Et comme les mots ont une vie réelle et surtout propre, ils peuvent aussi être « objet » de mépris et de méprises, utilisés sans vergogne, sans rémissions et sans compter, comme de vulgaires et simples choses, tels des êtres vivants vidés de leur véritable vie intérieure, de leur substance précieuse.

Entre deux pages ou deux conversations, ils peuvent être aspirés jusqu’au sein de ce substrat qui leur donnait la vie, piqués par des porteplumes irresponsables ou tirés à bout portant comme on tire le lait des excès aux boulets rouges d’une instrumentation trop littéraire.

Comme le grain de sable, comme certains mots, l’amour n’est pas aimé pour ce qu’il est.

Avant, bien avant que le sang ne s’écoule dans les veines du temps, et que l’espace infini se lève de son lit d’expansion, l’humanité déjà semblait refuser toute perspective d’amour, le Verbe était unique et seule la matière, avec force et conviction semblait converger vers quelque absolu.

Sans que personne ne l’accueille, sans que l’homme ne recueille le grain, ce manque d’amour nous dévoile d’un même mouvement et de la même logique implacable l’incapacité de l’homme poussière d’étoiles à entrer dans le projet de l’Univers ; incapacité pour l’humanité de recueillir le grain dans la main de l’Amour pour ne plus faire qu’une chair avec le verbe, un avec les mots, avec le grain.

Les mots peuvent bien sûr s’effacer du paysage, emportés qu’ils sont par les événements et les turpitudes de la langue courante, ils savent faire le mort parce qu’ils sont trop bousculés comme souris par le chat ou sourate par quelque fondamentalisme, ils peuvent passer de mode, mais jamais, au grand jamais ils ne peuvent vraiment mourir, car le verbe ne peut trépasser !

Mot à mot, goutte à goutte, Phénix ils renaissent encore et toujours aux zéniths du coma, sortant de l’amnésie plus glorieux que jamais et ressuscités encore et toujours, parce qu’ils sont les paroles mêmes de la vie, l’alpha et de l’oméga du verbe vivant.

Oui ils savent faire le mort au bord des mers mortes, jusqu’au jour M, jour des mots et des papyrus en rouleaux. Quand vient l’aube d’un latiniste ou d’un autre spécialiste de Sumer ou d’ailleurs, égaré en de tristes bibliothèques ou perdu en de sinistres territoires confinés de déserts.
Jusqu’au jour où un savant fou, fou de cette folie qui porte l’Univers, trouve à l’apnée de son émotion et sous son pied poussiéreux, la trace indélébile d’un passage, d’une lettre ou de deux. À mains nues, ils déchiffreront d’impossibles hiéroglyphes sur d’impraticables parchemins de pierre, d’os et de peau.

Et les langues anciennes ou dites mortes, prises comme épouse à bras les mots, se mettent à danser, calligraphie fébrile, tango des alphabets. Car invisibles, moribonds, les mots ont toujours du sens. Une fois ramassés au creux d’une amphore, d’une tombe …, écorchés, disséqués et analysés sous toutes les coutures de la peau par les doigts de fées des spécialistes du langage, les mots décodés, décryptés se redonneront à aimer par amour, mots crus, mots vifs, gros mots à cœur et corps ouvert, ils sentiront bon la vie et consentiront encore et toujours après des millénaires de silence, à nous livrer leurs grands secrets.

En ce petit grain de sable qui porte l’Univers, elles renaissent les langues oubliées, à tous les vents, à toutes les vagues, à voiles déployées, dans la bouche des petits, des enfants de la rue qui ne connaissent que le cri pour dire le rêve et calmer la faim.

Ils renaissent à eux-mêmes les mots dans des tags colorés de liberté et dans les ruines à relever des grandes cités perdues. Ce n’est pas parce que la plage ne garde pas la trace des pas, virgule à la page, majuscule, reflux, après le passage de la grande marée, que le sable ne garde pas en sa structure intime le souvenir de ses mots roulés comme manuscrits dans les coquillages marins.

Ce petit grain de sable, porte de l’Univers
Ceci est mon corps, ceci est ma glose … prenez et lisez ! La coupe est pleine de ce sable humide de mots, au cœur de l’homme, dans la fracture du corps, dans l’hostie consacrée aux falaises des sacrements, dans le symbole fait chair, dans la faille …, porte des étoiles, crachant ses poussières d’étoile et d’humanité, là ou la création tout entière se fait ouverture, blessure du réel dans laquelle l’Univers gémit comme dans les cris de l’enfantement.

En tous ces petits grains minéraux recouvrant le sol bouillant de siliceuses frondaisons aux formes minérales, se trouvent comme fondus de soleil au regard du ciel, l’hologramme de chacun de nous.

Selon le caractère de chacun, grains de table rase et de mots roses du désert, grains comme des mots intrépides, des grains de révolte, mots aventureux, libertaires … Géode et jeux de mots, de l’adamite à la zeophyllite, les minéraux cristallisent tout l’homme dans la somme de ses rêves récurrents et de ses difficultés à s’humaniser davantage.

Depuis toujours et jusqu’aux horizons de la pensée et de la chair, les détritus d’étoile parlent la langue des grains du sable fin, qui disent plein microsillons le chant des bédouins sous le pas sage du chameau et le son des limons aux gramophones des micas, images holistiques, cristaux parlant le langage de l’inorganique pour dire la chair des mots cendres, vol d’escarbilles des mots, étincelles d’un jour, aux feux de la Saint-Jean, pour toujours retomber sur ses pieds, retrouver le vocable irrévocable de la matière toujours présente.

Même au cœur du silence les mots se fondent et sans fin parlent d’une « Présence ».

Jaune d’or, rouge sang ou blanc, parfois grisâtre, mais jamais muet, le désert comme la plage de sable, de la préhistoire jusqu’à nos jours, se rident à rives de sable emportées, ils ne crèvent pas la grève des mots, ils se font « suspension », apaisement, apesanteur et silence pour mieux se dire au passage des poètes et autres archéologues du langage, afin de se laisser trouver, de se laisser cueillir comme perle et cristal de roche, quartz laiteux du lait des Voies lactées d’une voix lactescente.

Sablonneux, les mots dans l’œil crissent et dans la bouche ont comme un goût terreux, alluvions pleines d’allusions et d’illusions selon la respiration profonde des boues pleines de quiétude ou d’angoisses. Mais c’est pour mieux revivre et se réveiller en se révélant comme des couches profondes de l’être, comme les strates se réveillent parfois entre les mains débordantes des amoureux, après des nuits de combats et d’apaisement aux matelas des âmes.

Les mots ont la dureté du ciment armé de patience, rien ne peut les tuer, rien ne peut assassiner ce sable mouvant, rien !

Marche des sables au désert, vivacité qui marque et marche vers l’homme pour porter son message, son flux, son flot … Déplacement, conversion des sables qui se retournent, se font dunes et s’ondulent comme des corps couchés en pleins spasmes, se creusent pour l’amour, s’écartent, se donnent, se soufflent dans les yeux aux jours de tempête et se font jeux quand les vents sur les dunes et les collines les nivellent d’étranges métamorphoses comme des métaphores.

Marche des mots au désert, blancs comme bancs de craies, salés comme une mer retirée pour mieux revenir, sablés tel ce champagne que les grands découvreurs de langues vont ouvrir aux creux des sables et des ossements retrouvés.


post-scriptum

Un spécialiste des catacombes, au comble des mots, n’y retrouvera pas que des os, mais des traces, des empreintes, des restes vivants de langues et de dialectes anciens qui ne demandent qu’à renaître avec le vent, la vague et la plume.

Faisant pleuvoir les mots, d’un seul mot, Amour, naquit une postérité de mots les plus divers. Le Verbe ne forma-t-il pas l’homme avec de la poussière ? Les anges ne se nourrissent-ils pas de varech, de grains de sable et de nacre ?

Tel poète acharné est forcément « incarné ».

Depuis qu’il a entendu dans l’écho des falaises : « Tu es poussière et tu retourneras dans la poussière », tel poète amasse les grains de mots comme le sable de la mer.

Depuis que les mots se cachent tous nus dans le sable chaud comme un trésor caché dans les astres, les mots forment un seul peuple comme les sables des océans.

Dans ce grain de sable et dans la pierre qui dit la feuille qui dit l’insecte qui dit le mammifère qui dit la vie avec ses dénouements qui disent la convergence des règnes, les mots sont tous des terres arables à retourner aux porteplumes.

Comme les maux de la vie, ne nous ménagent guère et ne nous épargnent rien, il nous est donné de ne pas économiser les mots.

Entre ce que j’étais, ce que je suis et ce que je serais, et cette poussière dans l’œil, entre l’œil du cyclone et moi, entre l’œil du trou noir et mes trous de mémoire, il y a comme une parenté, une même réalité identitaire.

Si clone j’étais, je serais grain d’amour, semence, comme perle au fil de l’attraction universelle.

J’en tiens un grain (ou même plusieurs) disent ceux qui ne sont pas poète ; j’en déduis que je suis l’épi ou même l’épicentre de quelques potins qui me dépassent, et que le grain de poussière ou de mil, en mon œil, est messager, ange ou prophète.

Grain séparé de sa source, égrené, battu à tous les vents, pour engranger l’immensité au silo de mon cœur.

J’en tiens un grain pour moulin à moudre les idées, moudre les vers et la tisser la prose comme « poète de grains » comme il y a des chapons de poésie, coupés par les muses, ça les amuse !

J’en tiens un grain, pour mettre mon sel, donner goût aux choses, les rendre sujet, séparant la paille sèche des mots du grain subtils des choses, mettant mon grain de bonté et de beauté au cœur des terres arides, crachant et pissant dessus pour les y faire pousser.

Après avoir essuyé tous les grains de reproche, et toutes les pluies, neiges et grêles, s’il ne reste qu’un mot, s’il ne reste qu’un grain, ce sera celui-là, l’amour.

Oui, même les plus petits déserts, infimes, expriment à l’infini le langage des mots, jusqu’aux bacs à sable où jouent les enfants des jardins publics avec ceux de l’assistance publique qui demain seront poètes publics.

Impudique, le marchand de sable est passé par la mort, mais il est toujours là vivant ; les enfants ont bien entendu sa foulée dans leur demi-sommeil, et ses quelques mots susurrés au détour des chambres bleues et roses :

« Un seul mot, un seul grain de sable dans les rouages de la conscience, et cela peut faire échouer tout l’amour du Monde ou l’ouvrir à l’amour »



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