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Obscuro cubiculo
prose [ ]
ZOOM extrait

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by [Reumond ]

2011-09-26  | [This text should be read in francais]    | 



(…)

Troc cru entre l’ombre et la pénombre, en de vagues contours.

Terrassée par le noir, la photo perd son âme !

Ainsi, la nuit obscure étend son voile sur la lumière, comme la brume épaisse d’une encre de Chine sur un papier si cru, qu’il boit le désespoir.

« Dans une nuit obscure, par un désir d'amour tout embrasée, oh joyeuse aventure, sortis sans me montrer, quand ma maison fut enfin apaisée… »,

Chante l’âme du poète Jean de la Croix, dans cette nuit sans joie, où les yeux ne voient plus rien, mais où le cœur vous brule davantage, d’une absence présente qui rend plus lourde la nuit.


La lumière est un chemin de sainteté !

La bougie brule son désir d’éclairer ; les cierges portent le cri.

En plein cœur la lumière déchire !

La prière se fait chair !

La lampe inactinique est au chœur d’un mystère !


Tout le mystère de la chambre noire est là, contenu dans cette petite lampe rouge accrochée au mur du labo, luminaire de corail qui figure une présence, celle d’une lumière virtuelle, absente pour quelque temps, jusqu’à ce qu’elle revienne.


Elle est comme ce lumignon vermillon d’une petite chapelle, d’une basilique, ou d’une cathédrale, qui danse nu comme David devant le Tabernacle ; lampes rouges qui rappellent à nos distraites mémoires, le sacrement d’une présence réelle, sacrement de la vie donné en abondance, sacrement du sang versé pour que l’avenir devienne.

Ou bien, elle est comme la flamme vivante d’une chandelle devant une icône écrite dans la prière fervente d’un iconographe, ou comme la chaleur agréable d’un feu de joie au cœur d’un groupe d’amis que l’on retrouve après la pêche.


Comme les mots, les lumières sont des convoyeuses de sens !

Quelle intime communion il y a-t-il, entre l’obscuro cubiculo et la camera obscura ?

Quel mystère de vases sacrés, communicants entre eux d’obscures clartés ?

Entre la chambre noire interne, contenu dans l’appareil photo, et la chambre noire externe au photographe, lieu mystérieux des manipulations de pellicules et de papier glacé; de transformation d’argent en or.

Quels intimes échanges, entre la salle obscure de ma tête, temple de tous mes fantasmes, transferts et multiples projections personnelles, et la salle obscure des cinémas ; hauts lieux de tous les cultes cinématographiques, lieux très saints, avec leurs projectifs rituels pour cinéphiles.

Échanges d’offrande et sacrifice de films, hosties et multiples plans d’images prodiguées sans modération, pour des hôtes bienheureux sur les paillasses de labo et les autels des ciné-clubs.

Tels sont l’oratoire et le laboratoire de l’alchimiste, lieux de subtiles alchimies et de saintes transsubstantiations, de transvaluations et d’échanges, de passages entre l’intériorité et l’extériorité, là où, tout en nuances, tout est nuances et langage ; là où tout se joue de nous, entre la présence et l’absence, comme dans un jeu de cache-cache.

On dit « inactiniques » les rayonnements qui n’ont aucun effet sur une surface sensible, comme dans le secret de la chambre noire, mais que peut-on dire ou savoir des causes et des grâces, qui passent et repassent par la preuve de l’épreuve, en ce grand tabernacle que nous nommons la vie ?


À Notre-Dame de l’Espérance, il y avait dix ares de vitraux chamarrés, convoyeurs de lumières filtrées, et puis les concerts d’orgues, angéliques ; mais il y avait surtout, cette chapelle principale, avec au tabernacle, sa petite lampe rouge qui m’apparaissait tel un buisson ardent, au lieu même de la réserve eucharistique, signalant une double présence : celle de ma présence à la présence, et celle de la présence d’un très Saint Sacrement.

Une lampe grenat comme un bijou, entre l’intime et l’ultime, comme un ange rouge marquant de sa pose la distance et la proximité d’un mystère, car, en dehors de la messe et du labo, comme un saint sacrement, on ne peut transférer la pellicule d'un lieu à un autre sans précaution.

Il immerge ses mains dans les cuves de révélateur, comme on plonge ses doigts dans l’eau consacrée des bénitiers, il se signe de l’image, car toute la vie est une image signée.


Ainsi, dans la lueur incarnate de ce coucher de soleil, le grand prêtre Photomaton, porte l'aube comme on porte l’aurore, et l'étole ou parfois le voile huméral pour se protéger des humeurs et des produits caustiques, comme on se vêt d’un tablier pour servir à table les amis et les inconnus de passage.

Il avance lentement, avec respect, et déambule dans le chœur, accompagné de toutes les vierges sages qu’il a photographiées en son temps ; escorté de servants, des accolâtes vêtus de rouge sang, qui agitent des clochettes d’argent et portent des cierges blancs comme des gisants de cires.

Il est conscient que là repose l’image, comme le Corps du Christ, repose en sa présence mystérieuse, au milieu de nous tous comme au cœur du monde.


À proximité de cette lampe grenat comme la parure d’un Roi, je n’étais plus photographe, je redevenais petit enfant, et c’est, depuis, le seul endroit au monde où mon zoom restait flasque dans sa housse de cuir.

Car, n’ai-je pas entendu une fois dans ma vie, les haut-parleurs de la basilique m’appeler

« Alexandre, Alexandre…, »

« Oui, je suis là ! » dis-je

Et me dire comme dans un home cinéma :

« Oui Alexandre, tu es-las, fatigué de te chercher, mais es-tu vraiment là, présent à ma présence au monde ? Quand tu cliques, es-tu conscient d’approcher la vie et l’essentiel ? Quand tu zoomes es-tu conscient de la différence qu’il y a entre l’objet et le Sujet ? Entre regarder et voir ? Être et exister ? »

J’étais muet de stupeur, comme dans une extase ! Transportée du petit monde sensible, hors de moi, de la basilique, de Charleville…


Les haut-parleurs me dirent encore :

« N’approche pas d’ici Alexandre, écoute mes bass-reflex et range ton Reflex, ou tu recevras des baffles ! Retire, veux-tu, la poussière de tes mains et les sandales de tes pieds, car ce lieu où tu te tiens est une terre sainte. »

Une grenouille présente ce jour là, sur son nénuphar de bénitier, comme dans un tableau de Monnet, put voir Alexandre voiler son zoom, la face contre terre…,

Il referma sa sacoche en silence, et se jura bien de ne plus jamais zoomer en ces lieux saints et sacrés,
car il craignait les baffles comme on appréhende le mauvais œil et la foudre des flashs.


« Moi qui brise toutes les chaînes de haute-fidélité, je te le dis Alexandre, soit un voyant plutôt qu’un voyeur, un mystique plus qu’un sceptique ! »

Conclurent les tweeters sur un ton grave.


La lumière et le son sont un, unanimité comme produite par un amplificateur audio-vidéo ;
en cet instant unique, les ondes sonores étaient des images et les mots étaient des myriades de couleurs.


« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles, je dirais quelque jour vos naissances latentes »

Je comprenais subitement, qu’Arthur Rimbaud était passé par là, qu’il avait aussi fait cette expérience mystique, qu’il avait entendu et vu, qu’il s’était jeté la face contre terre, et qu’il avait bu de ses propres lèvres l’écho des mots, éclairé dans son maigre corps adolescent par cette clarté si singulière, projetée par la parure des verrières du Maître René Dürrbach, et qu’il avait été lui-même percuté au plus profond de son âme et de son âge, par la réverbération des couleurs de ce lieu si gothique ; qu’il avait été enceint de ces voyelles comme j’étais devenu l’enceinte de mille et un clichés virtuels et multicolores.


Tel un prophète envoyé dans les rues de Charleville pour porter le bon cliché et prêcher Jésus Polaroïd.

(…)

ZOOM extraits

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