« Ceci n’est pas un sablier », aurait sûrement dit, au premier coup d’œil et sans même la retourner, René Magritte, ce fameux Lutin surréaliste, qui n’était ni de Luc-sur-Mer , ni du pôle Nord.

Cette boule à sable pleine de soleil et d’ors, je l’ai acheté il y a bien longtemps, rue de la Mer, à « Tout à un franc ».

Une fée, déguisée en vendeuses, me l’avait vendu sous le manteau, comme on vend un secret.

Lors de cette étrange transaction, je m’en souviens très bien, comme si c’était hier, elle m’avait recommandé, avec beaucoup d’insistance, à suivre scrupuleusement ses instructions. Ces recommandations ressemblaient curieusement à un véritable rituel :

Évitez, disait-elle

« De la secouer trop fortement, les mouettes qu’elle contient n’aiment pas trop ça, et vous pourriez briser les charmes qu’elle possède ! »

« Tournez là une fois, mais ne la détournez surtout pas, au contraire, laissez-vous aller, entrer en elle, ne résistez pas à l‘attraction du sable, passer à travers le verre comme au-delà d’un miroir ; et surtout, abstenez-vous de la secouer ou de l’agiter comme on malmène ses rêves ».


Alors, depuis presque un demi-siècle, je la manipule avec la plus grande précaution comme un objet des plus précieux.

Ne vous y trompez pas, ceci n’est pas un jeu ou un objet décoratif, et encore moins un gadget inutile, c’est une boule magique, féerique et lutine tout à la fois.

Par exemple, mettez là à votre oreille comme un gros coquillage tout chaud de vos plus brûlants souvenirs ; avec attention et intentions, vous y entendrez évidemment le bruit de la mer, au rythme des vagues; mais plus encore, vous percevrez le brouhaha qui s’élève du Petit-Enfer, comme monte la marée, avec en arrière fond des rires et des cris d’enfant sur la plage.

Lorsque je la retourne, c’est moi qui suis complètement retourné !

Et quand je la retourne encore, alors elle m’ensable le cœur et l’esprit comme l’espérance peut remplir nos cruches les plus vides ; parce que le sable en suspension contenu dans cette boule serait, paraît-il, exactement le même que celui que le « Marchand de Sable » utilise pour endormir tous les enfants du monde.

Mon globe sableux est tout plein d’eau salée, avec sa digue miniature et son horloge ; il est comme le reflet exact de ma réalité intérieure.

C’est une sphère pleine de lumière et de chaleur qui aux heures les plus froides vous réchauffe le cœur, et qui aux moments les plus sombres ou les plus tristes vous comble de bonheur.

Et là, la boule en main comme si je tenais le Saint Graal, quand je la retourne, je me mets à fondre comme un petit sablé au beurre normand.

Et quand retombe le sable, comme retombe tous les petits bonheurs du quotidien, alors, je me fais plage au rivage de mes souvenirs, pour que mes vagues à l’âme me submergent, venant effacer, « le temps d’une supination et d’une nouvelle rotation », comme dirait mon fils kiné, c’est-à-dire le temps d’un simple retournement, alors, les eaux recouvrent mes empreintes du passé et mes châteaux d’un jour.

Et tandis que le sable finit par se déposer tout à fait, comme un sédiment qui a fait son œuvre, je la dépose en lieu sûr, à sa place, sur ma cheminée au salon, comme on dépose une gerbe sur ses souvenirs, ou comme on laisse reposer un bon vin en attendant les fêtes ; sachant bel et bien, qu’en cas de manque, elle sera toujours là présente comme un Ange gardien, parce que ma boule à sable, elle est magique, féerique et lutine tout à la fois.