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- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 2006-09-05 | [This text should be read in francais] |
LES COULEURS D’AUTOMNE
Poète à nu, je joue des doigts sur les os du silence. Je porte encore en moi mon premier livre lu mais me souviens à peine des dernières nouvelles. À défaut de papier, je griffonne les phrases sur le dos de ma vie. Je dépose des mots sur la rosée des choses, du vent sur la poussière, des vagues sur le sable. Je plonge mon regard dans la douceur des yeux. Il y a de l’encre sous ma peau. Le secret de la vie se cache sous l’écale, dans le moindre brin d’herbe, le plus petit caillou. Quelle merveille que le corps ! Les yeux voient. Les oreilles entendent. Les lèvres parlent. Les mains se ferment en poing ou s’ouvrent en caresse. On peut lire dans la paume des mains. Il n’y a pas de réponse mais une autre question. On peut rester debout sans avoir de racines. Le vent qui déracine un chêne ne peut rien contre l’enfant qui s’arc-boute. On cache la beauté du monde sous le fatras des choses. La rage ne tient pas dans un seul poing fermé. Elle étire ses doigts jusqu’au froid des gâchettes. À ma table d’écriture, je suis comme un enfant penché sur l’inconnu. Il poursuit les insectes avec un brin de paille. Il détourne un cours d’eau pour sauver un caillou. Les jours sont trop courts. Il met des fleurs dans sa poche pour éclairer la nuit. Dans cette époque de métal, je m’accroche aux nuages. Le rouge des érables a laissé les nids vides. Le chant des hirondelles abandonne l’oreille. Les couleurs d’automne préparent déjà le feu. Tout un livre s’écrit dans les feuilles tombées et les cigales mortes. Un promeneur, un vagabond, un ange en guenilles déchiffrera les mots au détour d’un sentier. Des traces d’herbe jaune se mélangent au silence. Un pommier tend ses branches pour qu’on cueille ses fruits. L’insouciance des enfants donne un prénom aux pommes. C’est une façon d’écrire une lettre aux oiseaux. Je réchauffe la chambre avec des mots de bois, des mots d’érable sec où la sève chante encore. À chaque jour j’écris sans savoir pourquoi, comme on lance un filet dans un lac sans eau, comme on parle aux oiseaux sans savoir s’ils écoutent, comme on essaie de croire à la bonté des hommes. Quand je manque de tout, je dessine le pain. Je tricote un poème dans les haillons du froid. Je laisse marcher mes yeux sur la lumière des pages. L’eau des ruisseaux traverse le désert des choses. J’aime les ronces et les épines, les mauvaises herbes du chemin, les insectes qui dansent depuis des millénaires, les couleurs oubliées sous la poussière du temps. Il y a là plus d’or que dans les coffres-forts. Mes phrases ont les bras chargés de mousse, de fougères et de pluie. Une poignée de sable s’écoule entre les mots et l’encre donne à boire du pollen aux images. J’aime les fleurs sauvages, les sources qui se cachent, les vieux mots qu’on trahit, les vers dans la pomme, la pluie des mots sur le toit du cerveau. Du lieu où l’on écrit on voit le monde entier, l’invisible jardin, le visage des mots traversé par les rides. On entend une mère pleurer son enfant mort loin du mensonge des hommes. Il n’y a pas de récit dans les mots du poète, juste l’or des images, la rosée des voyelles, l’espérance des loups. C’est une plume d’oiseau, l’odeur d’une fleur, une langue léchant l’écuelle de l’aube, le froissement d’une jupe qui s’ouvre aux caresses. Ce sont les petits bruits qu’entendent les aveugles, la musique des racines sous l’archet de la sève, les mots sauvages qui survivent sous les paroles apprises. On manque de courage devant ce qui importe. On se cache dans un rôle, une profession, un nom. On fait son nom dans les affaires. On perd sa vie pour un salaire. On baisse les yeux devant l’amour. On ne regarde pas les enfants dans les yeux. On croit tout leur apprendre mais ils savent mieux que nous l’importance des larmes. Ils savent s’entourer de silence et de jeux. Ils s’habillent d’oiseaux dans les cabanes de branches. Ils trouvent l’infini dans la saveur des pommes. J’écris pour le bonheur, sans raison, sans projet. Je soulève ma pierre dans le jardin en friche. Je passe le balai dans le grenier du cœur. J’ai oublié mon nom quelque part dans la nuit. Je n’ai plus qu’un visage éclairé par les mots, un tout petit sentier à l’écart des routes. Chaque matin je dépose une fleur devant la page blanche. J’ai une photo de ma blonde pour éclairer le reste. Je n’habite pas un lieu mais les mots de la langue, les images du rêve, la prière des arbres, la douceur du pollen. Je recueille l’amour jusqu’au cœur des bêtes, sur la main du soleil, la tige du désir, la tendresse des galets. J’habite l’écriture, une cabane dressée pour tous ceux qui n’ont rien, un appentis du cœur protégeant la parole. 29 août 2006 |
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